dimanche 28 décembre 2008

Echec et mâle

L’équipe de Merim Bilalić se demande pourquoi on trouve si peu de femmes parmi les meilleurs joueurs d’échecs – une question qui en rappelle une autre, récurrente, sur la faible représentation féminine dans certaines disciplines scientifiques. En analysant les données de clubs d’échecs allemands, les auteurs montrent que la domination masculine peut s’expliquer à 96% par de simples statistiques : les hommes étant 16 fois plus nombreux à jouer aux échecs que les femmes, il est prévisible que l’extrémité de la distribution gaussienne des talents à ce jeu contienne bien plus d’hommes que de femmes. C’est-à-dire: si l’on prend un groupe de 100 femmes et 1600 hommes classés selon leurs résultats aux tournois, le dernier percentile des joueurs les plus brillants sera presqu’entièrement formé d’hommes (et cela sans besoin de faire référence à un avantage biologique ou culturel : ce serait la présence d’une forte proportion de femmes dans les meilleurs qui serait une anomalie statistique demandant une explication). Mais ce genre observation ne fait évidemment que repousser le problème: pourquoi trouve-t-on 16 fois de garçons que de filles dans la base démographique du jeu d’échecs?

Référence : Bilalić M. et al. (2008), Why are (the best) women so good at chess? Participation rates and gender differences in intellectual domains, Proc. Roy. Soc. B, online pub., doi : 10.1098/rspb.2008.1576.

lundi 15 décembre 2008

Gènes masculins, sex-ratio et après-guerre

Une étude menée par Corry Gellatly (Université de Newcastle) suggère que le sexe des enfants ne suit pas une répartition aléatoire 50/50. Les femmes possèdent deux chromosomes X, les hommes un X et un Y. C’est donc le chromosome légué par l’homme qui va déterminer le sexe de l’enfant. En analysant 927 arbres généalogiques totalisant 556.387 personnes d’origine européenne ou nord-américaine et remontant jusqu’au début du XVIIe siècle, les chercheurs ont observé que les hommes ayant plus de frères ont une probabilité un peu plus forte d’avoir des fils. Inversement, les hommes ayant plus de sœurs augmentent leurs chances d’avoir des filles. Aucune distorsion n’est observée selon la fratrie des femmes. Le modèle expliquant le mieux cette observation est l’existence d’un gène autosome masculin avec différents allèles dont certains font pencher la balance en faveur des spermatozoïdes porteurs de Y.

Cette étude suggère une explication pour un phénomène observé de longue date : la surnatalité masculine après les guerres. La nature semble ainsi bien faite, si l’on peut dire, puisque les conflits régionaux ou mondiaux ayant entraîné des morts (généralement masculines) en grand nombre sont suivis par un surcroît de mâles dans le boom démographique d’après-guerre. Mais comment expliquer cet ajustement observable à l’échelle d’une population ? Le travail de Gellatly propose le mécanisme suivant. En supposant que tous les hommes jeunes sont mobilisés sur le front, les parents ayant beaucoup de garçons ont un peu plus de chance d’en voir certains survivre à la guerre que ceux en ayant peu parmi beaucoup de filles. Dans le pool masculin de l’après-guerre, les mâles ayant beaucoup de frères sont donc sur-représentés par rapport aux autres ayant beaucoup de sœurs. S’il existe une prédisposition génétique à engendrer des fils plutôt que des filles dans cette condition de fratrie à dominante masculine, le sex-ratio des naissances va se déséquilibrer en faveur des garçons.

Référence : Gellatly C. (2008), Trends in population sex ratios may be explained by changes in the frequencies of polymorphic alleles of a sex ratio gene, Evolutionary Biology, oline pub., doi : 10.1007/s11692-008-9046-3.

jeudi 11 décembre 2008

La crise est-elle un phénomène masculin ?

Bon nombre d’Occidentaux vivent au-dessus de leurs moyens. Lorsqu’un secteur spéculatif entre en crise, comme l’immobilier, et entraîne dans son sillage le déclin de la croissance économique, la dette de ces particuliers se transforme en actif hautement toxique que tout le monde tente désespérément de se refiler. Mais au bout du compte, d’où vient la pulsion initiale d’endettement faisant que certains accumulent toutes sortes de crédits à la consommation ?

Daniel J. Kruger, chercheur à l’Université du Michigan, suggère qu’une partie de la réponse se trouve du côté… du sexe. Il adopte le point de vue de la psychologie évolutionnaire, une discipline consistant à analyser la cognition et le comportement des humains au prisme des hypothèses darwiniennes sur l’évolution. Or, Darwin nous a enseigné que l’évolution fonctionne selon une loi assez simple, la prime à celui qui produit le plus de descendants viables dans un milieu donné. Chez les espèces sexuées comme la nôtre, cela suppose donc d’attirer des partenaires. Or, l’être humain est sensible à un grand nombre d’indices de qualité reproductive, parmi lesquels la richesse et le statut figurent en bonne place : l’accumulation de biens mobiliers ou immobiliers augmente la probabilité de séduire des partenaires. Cela s’observe particulièrement dans la stratégie de séduction des mâles envers les femelles. Si Nicolas Sarkozy devait résumer l’hypothèse de Kruger par une de ses formules simples et délicates dont il a le secret, cela donnerait : «Consommer plus pour baiser plus».

Pour donner une première consistance à son hypothèse, Kruger a réalisé une étude téléphonique sur 409 individus par ailleurs enrôlés dans une enquête générale sur la santé. 100 étaient des hommes, 309 des femmes. Le chercheur a évalué leur attitude économique par des questions sur leur comportement d’épargne et de dépense. Il a également utilisé des questions standardisées du Sociosexuality Inventory (SOI) pour connaître leurs succès sexuels passés et leurs attentes futures (en partenaires conquis et espérés). Résultat : la tendance à la dépense plutôt qu’à l’épargne est un bon prédicteur chez les hommes (mais pas chez les femmes) du nombre de partenaires séduits dans les cinq dernières années et espérés dans les cinq prochaines. Kruger suggère donc de creuser la piste, en étudiant notamment plus en détail le facteur psychologique de prise de risque : on sait qu’il est généralement plus marqué chez les hommes que chez les femmes ; et la corrélation de la dépense financière et de la quête sexuelle pourrait être expliquée par ce facteur commun (c’est-à-dire que les hommes portés au risque financier sont par ailleurs portés au risque sexuel, sans que le second soit la motivation réelle du premier, la tendance à prendre des risques étant la cause commune des attitudes économiques et des stratégies reproductives).

En tout état de cause, d’innombrables facteurs autres que la sexualité permettent de donner une lecture psychologique de la crise actuelle. J’y reviendrai dès que possible en évoquant deux essais récemment traduits en français, Predictably Irrational de Dan Ariely et The Black Swam de Nassim Nicholas Taleb. Le point commun de toutes ces publications, et de bien d’autres dans le domaine florissant de l’analyse du comportement des acteurs économiques, c’est que la figure heuristique de l’Homo oeconomicus comme agent rationnel calculant son meilleur intérêt dans l’information disponible a du plomb dans l’aile. Ce paradigme de l’économie classique correspondait peut-être à l’idéalisme rationnel dominant le siècle l’ayant vu naître, mais il ne se retrouve pas dans les travaux récents de l’anthropologie et la psychologie scientifiques. Homo investit bien plus que l’intérêt et la raison dans son économie, laquelle est aussi bien infusée de désirs et de passions dont la combinatoire produit des effets collectifs assez différents des résultats des modèles…

Référence :
Kruger D.J. (2008), Male financial consumption is associated with higher mating intentions and mating success, Evolutionary Psychology, 6, 603-612 (lien pdf, anglais)

Illustration : Le publicité sait parler aux hommes (DR, source).

Vision, odeur et attraction

On a beaucoup écrit ces dernières années sur l’attractivité sexuelle des odeurs corporelles, montrant que les humains y sont encore sensibles. Du moins en situation expérimentale, lorsque les odeurs ne sont pas masquées par des parfums ou désodorisants, lorsque le cycle ovulatoire des femmes n’est pas perturbé par la contraception, etc. Le New Scientist a récemment publié un papier sur ce thème. Joshua D. Foster vient de publier dans le Journal of Social Psychology un travail comparant la manière dont 44 femmes jugent la qualité de partenaire sexuel de 21 hommes, soit par des stimuli olfactifs (T-shirt porté une nuit), soit par des stimuli visuels (photographie), présentés ensemble ou séparément. Il en ressort que la vision est bien plus prédictive que l’odeur pour l’attractivité d’un mâle. Mais les femmes fertiles ne prenant pas de contraception attribuent tout de même des scores visuels et olfactifs assez proches.

mardi 9 décembre 2008

Domaine ZP et contraceptif non-hormonal

La matrice externe (appelée zone pellucide) des ovocytes présente une certaine structure indispensable à sa reconnaissance par les spermatozoïdes de la même espèce, et donc à la fécondation. Luca Jovine et ses collègues suédois publient dans Nature une étude par cristallographie de la structure moléculaire des protéines du domaine ZP-N (en l’occurrence ZP-2 et ZP-3 pour l’ovocyte des mammifères) de cette matrice. Certaines pathologies de la zone pellucide provoquent l’infertilité chez l’animal et chez l’homme. Les chercheurs pensent que leur travail peut aboutir à la mise au point d’un contraceptif non-hormonal.

Le Web 2.0 a-t-il un sexe ?

L’anthropologue darwinienne Helen Fischer est l’une des invitées du Forum Le Web, qui se tient à Paris aujourd’hui et demain. Le thème en est «l’amour !», et la problématique : le Web 2.0 modifie-t-il les modes de rencontres et de pratiques amoureuses. Dans Le Monde, Fischer note : «Se dévoiler devant ses semblables n'est pas vraiment une chose nouvelle. Pendant des millions d'années nos ancêtres ont voyagé en tribu pour chasser et tout le monde connaissait à peu près tout des autres. Nos concepts d'"intimité" sont très récents à l'échelle de l'histoire de l'humanité. S'exhiber sur le Net est une publicité à la fois d'ordre social et sexuel que beaucoup de gens font tout naturellement.» Dans le même temps, l’étude SocioGeek sur l’expression de soi et l’usage des réseaux communautaires donne ses premiers résultats. Sur 11.000 personnes ayant rempli le questionnaire, l’âge moyen est de 28 ans et 73,6% sont des hommes. Les trois types de site les plus utilisés sont Facebook (69%), les blogs (36%) et Copains d'avant (24%). 4,31% seulement des répondants considèrent que l’usage du web social est avant tout la rencontre amoureuse, alors que plus de la moitié les utilise pour discuter avec des gens déjà connus hors du réseau. Tout cela semble assez endogame et gentillet, finalement.

dimanche 7 décembre 2008

Wikipedopornographia

Amusante histoire sur le site de Libération. Depuis trois jours, il est impossible pour un certain nombre d’internautes anglais d’accéder à Wikipedia. Motif : par un jeu complexe de proxies de filtrage, l’encyclopédie a été mise sur la liste noire des sites à contenu répréhensible par les cybercurés de l’International Watch Foundation UK, un groupe dédié à la traque des horriiiiiiiiibles contenus d’incitation à la pédopornographie ou à la haine raciale. En l’occurrence, Wikipedia a commis le crime de publier cette photo de la pochette de Virgin Killer, un album des Sorpions datant de 1976. Commentaire du journaliste : «Dans cette nouvelle histoire, on retrouve donc tous les ingrédients de ce qui est en train de se passer un peu partout dans le monde. C’est-à-dire essayer de mettre en place un contrôle et un filtrage centralisé d’Internet au nom de la lutte contre la pédo-pornographie. Et ce malgré l’avis de nombreux experts et acteurs du web qui jugent toutes les mesures aujourd’hui envisageables comme techniquement impossibles sans gros dommages collatéraux.»

Illustration : DR.

Les yeux dans les yeux

La dilatation des pupilles est un grand classique de la littérature de gare — «ses pupilles immenses se dilataient à l’infini sous l’effet de la chaleur, de l’alcool et du désir» (© auteur, titre, éditeur et gare inconnus) — , mais elle est plus rare dans la littéraure de laboratoire. Kathryn Demos et ses collègues, du Laboratoire de neurosciences cogitives du Dartmouth College (New Hampshire, Etats-Unis), s’y sont intéressés. Des sujets mâles et volontaires subissaient une imagerie par résonance magnétique fonctionnelle en même temps qu’ils observaient des photographies de femmes dont les pupilles variaient par rapport à leur diamètre moyen. Résultat : l’amygdale droite et la substantia innominata (noyau accumbens, noyau de Meynert) des hommes s’excitent dans le cerveau à mesure que l’œillade féminine se dilate. Après questionnaire, il ressort que les sujets n’étaient pas conscients des variations observées. Il semble donc, concluent les chercheurs, que les pupilles adressent des indices inconscients d’excitation et d’intérêt chez les conspécifiques – le phénomène n’étant pas limité à l’espèce humaine.

Référence : Demos K.A. et al. (2008), Human amygdala sensitivity to the pupil size of others, Cerebral Cortex, 18, 12, 2729-2734, doi:10.1093/cercor/bhn034

Illustration : C. Muller

jeudi 4 décembre 2008

Vieux monsieur riche cherche jeune fille aimable

Linda Gustavsson et Jörgen I. Johnsson ont examiné 400 annonces matrimoniales, publiées sur des journaux ou des sites suédois entre novembre 2006 et février 2007, par des hétérosexuels âgés de 20 à 79 ans. Ils ont analysé l’attractivité physique (décrite pour soi ou souhaitée chez l’âme sœur), les ressources économiques (idem) et l’âge (idem). Il en ressort que les hommes des catégories 20-39 ans, 40-59 ans et 60-79 ans tendent en moyenne à chercher des partenaires plus jeunes qu’eux, surtout chez les 40-59 ans. Les femmes, de leur côté, précisent plus volontiers qu’elles acceptent des partenaires plus âgés. 55 % des hommes évoquent leurs ressources dans l’annonce, contre 23 % des femmes, ; mais 40 % des femmes stipulent que la question des ressources (du partenaire) entre en ligne de compte dans leur choix contre 15 % seulement des hommes. Du côté de l’attractivité physique, on n’observe pas de différence notable entre les sexes. Deux prédictions darwiniennes sur trois sont donc confirmées par ce travail : que les mâles tendent à chercher des partenaires plus jeunes que ne le font les femelles ; que les ressources ou le statut intéressent plus les femelles que les mâles. En revanche, l’importance plus grande conférée à la beauté physique du futur partenaire par les hommes que par les femmes ne se retrouve pas dans le travail. Les auteurs suggèrent que la place croissante du « look » dans nos sociétés pourrait égaliser les attentes psychologiques en ce domaine. Les vieux riches ont donc intérêt à être aussi des vieux beaux...

Référence :
Gustavsson L. et J.L. Johnsson (2008), Mixed support for sexual selection theories of mate preferences in the Swedish population, Evolutionary Psychology, 6, 4, 575-585. (Texte téléchargeable ici, pdf, anglais).