vendredi 9 mai 2008

Symétrie, dimorphisme et désir

Pourquoi trouvons-nous un visage attractif, un autre non ? La sélection sexuelle est un outil puissant de l’évolution des espèces, assez puissant pour produire des traits aussi « aberrants » que l’immense queue des paons ou l’imposant bois des cerfs. Il n’y a pas de raison que les primates, dont l’homme, échappent à ce mécanisme. Les préférences humaines en matière sexuelle (attractivité, désirabilité), lorsqu’elles sont transculturelles et répandues dans les populations, suggèrent que des mécanismes inconscients sont à l’œuvre dans nos valorisations et que les traits valorisés le sont en raison d’avantages adaptatifs au cours de l’évolution. Avantages pouvant bien sûr être décalés – c’est-à-dire que le trait était peut-être avantageux dans l’environnement d’une petite tribu pré-hominienne de la savane africaine, mais ne l’est plus aujourd’hui.

Deux traits ont été abondamment étudiés, la symétrie faciale et le dimorphisme sexuel. Ce dernier renvoie au fait que les visages des individus sont jugés plus ou moins masculins et féminins selon divers indices comme la taille et le rapprochement des yeux, la structure de la mâchoire ou l’écartement et la saillance des pommettes.

Anthony Little et ses collègues ont voulu savoir si ces deux traits sont associés l’un à l’autre, ou s’ils sont au contraire le fait de valorisation disjointe et arbitraire. Ils ont pris des photos de sujets européens (177 hommes, 318 femmes), africains (ethnie Hadza, 67 hommes, 69 femmes) ainsi que des photos de macaques (105 mâles, 111 femelles). Les chercheurs ont réalisé des images composites à partir des faces de chaque sexe les plus et les moins symétriques (symétrie mesurée par la disposition de 6 points du visage par rapport à une ligne médiane), ainsi que d’autres images composites au hasard, sans préselection. Et deux groupes de sujets (européens et africains) devaient donner leur avis sur ces photos, en estimant si les visages étaient attractifs, mais aussi plus ou moins masculins / féminins.

Résultat : les images composites symétriques sont celles qui accentuent le plus le dimorphisme sexuel (mesuré par quatre indices normalisés), c’est-à-dire que les visages symétriques féminins et les visages symétriques masculins sont ceux qui obtiennent aussi un meilleur score aux indices morphométriques de dimorphisme. Cette mesure objective est confirmée par la perception subjective des humains, qui considèrent eux aussi les faces comme plus ou moins masculines/féminines, non seulement pour leur ethnie et pour une autre ethnie, mais aussi bien pour une autre espèce de primate.

Ce travail suggère donc que la symétrie et le dimorphisme du visage sont sans doute associés au cours du développement par un facteur commun de variation. Et que ces deux traits sont des signaux indiquant une qualité de leur porteur, qualité ayant fini par orienter les préférences sexuelles en sa faveur au cours de l’évolution des primates.

Référence :
Little A.C. et al. (2008), Symmetry is related to sexual dimorphism in faces: data across culture and species, PLoS ONE, 3,5, e2106. doi:10.1371/journal.pone.0002106

Illustration : ibid.

mercredi 7 mai 2008

QI et allaitement

Le fait d’être nourri au sein vous donne-t-il un avantage cognitif dans l’existence ? C’est ce que suggère une nouvelle étude consacrée à ce sujet déjà très débattu en psychométrie et psychologie du développement.

Les chercheurs ont travaillé en association avec des maternités biélorusses qui ont proposé ou non aux futures mères un programme d’incitation à l’allaitement, dans le cadre d’une initiative de l’OMS et de l’Unicef. 17 046 enfants ont été concernés, dont 13 889 ont été suivis jusqu’à l’âge de 6 ans et demi. Résultat : les enfants du groupe expérimental (mères ayant suivi le programme d’incitation à l’allaitement) ont un gain global de 5,9 points de QI par rapport au groupe témoin, le QI verbal montrant des gains supérieurs (7,9) au QI de performance non-verbale (2,9). Les notes des professeurs en lecture et écriture étaient également supérieures.

L’intérêt de cette étude est double : d’une part, l’échantillon est l’un des plus importants jamais utilisés par analyser les liens entre allaitement et intelligence de l’enfant ; d’autre part, le choix de constitution des groupes se rapproche d’une randomisation, et limite certains biais. Cela suggère qu’il existe un lien causal réel entre l’allaitement et l’amélioration des capacités cognitives, et non une simple corrélation (due par exemple à l’intelligence de la mère).

Il faut cependant noter que le lien est complexe. Une autre étude parue voici peu (Caspi 2007), et concernant cette fois 3000 enfants anglais et néo-zélandais, a montré que le gain de QI des enfants dépend aussi de leur constitution génétique : selon leur version du gène FADS2, les bébés allaités connaissent ou ne connaissent pas de gain de QI. Ce gène est impliqué dans la conversion des acides gras de l’alimentation en acide arachidonique (AA) et en acide docosahexaènoïque (DHA) qui tendent à s’accumuler dans le cerveau lors des premiers mois de l’existence, et dont on pense qu’ils favorisent la croissance et la connexion des neurones.

Références :
Caspi A. et al. (2007), Moderation of breastfeeding effects on the IQ by genetic variation in fatty acid metabolism, PNAS, 104, 18860-18865, 10.1073/pnas.0704292104
Kramer M.S. et al. (2008), Breastfeeding and child cognitive development, Arch. Gen. Psychiatry, 65, 5, 578-584

dimanche 4 mai 2008

Violence mâle

Le journaliste du Monde Luc Bronner souligne la prédominance des hommes dans quasiment tous les registres de délinquance et de criminalité.

"Pour les actes les plus graves, les crimes, les hommes représentent 95 % des condamnations en 2005 (87,9 % des homicides, 98,5 % des viols et attentats à la pudeur). Pour les délits, les mâles représentent 90,4 % des personnes condamnées.(...)
Le ministère de la justice signale que la proportion de femmes est supérieure à la moyenne pour les vols simples (19 %), les faux en écriture (21 %), les escroqueries (21 %), les blessures involontaires (18 %) et le cas particulier des non-présentations d'enfants (76 %) dans les affaires de divorces. (...)
Le déséquilibre est tout aussi flagrant pour ce qui concerne les violences volontaires, autre sujet de préoccupation du fait de leur forte augmentation ces dernières années. En 2006, les femmes représentaient 12,7 % des personnes mises en cause par la police ou la gendarmerie pour ce type d'infractions. Une proportion qui tombe à 7,4 % pour les vols violents, et seulement 2,5 % pour les violences sexuelles. La situation est similaire en matière de délinquance routière : les hommes représentaient 92,3 % des délits sanctionnés en 2006 (conduite en état d'ivresse, délit de fuite, usage de stupéfiants, etc.).(...)
Au final, les femmes représentent à peine 3,7 % des 62 000 détenus en France."

L'auteur présente ce sexe-ratio déséquilibré comme un non-dit, mais on ne compte plus les articles et ouvrages consacrés à la sur-représentation des mâles dans les comportements agressifs et particulièrement des mâles jeunes. Le phénomène concerne toutes les espèces sexuées et il est d'autant plus marqué que le dimorphisme sexuel est prononcé. Les chimpanzés ou gorilles ne jouant pas avec des soldats de plomb dans leur enfance, et la construction des genres par la société étant donc difficile à incriminer, les chercheurs s'intéressent plutôt aux causes biologiques à la violence mâle, comme l'influence des hormones sexuelles sur le comportement (dimension développementale) ou la compétition inter-mâles pour l'accès aux partenaires et la défense du territoire (dimension évolutive).

vendredi 2 mai 2008

Une voix sexy

Nous évoquions voici peu l'oestrus humain : une étude vient d’apporter une nouvelle observation du phénomène. R. Nathan Pipitone et Gordon G. Gallup Jr ont enregitsré des voix de femmes à divers moments de leur cycle menstruel, puis demandé à un groupe de volontaires de classer ces voix selon leur attractivité. La corrélation entre les deux échelles (plus ou moins proche de la fertilité, plus ou moins grande attractivité) s’est détachée de manière significative d’une distribution aléatoire. Et l’effet n’a pas été retrouvé chez les femmes prenant des contraceptifs oraux, ce qui suggère une modulation hormonale de la voix.

Référence :
Pipitone R.N., Gallup G.G. (2008), Women's voice attractiveness varies across the menstrual cycle, Evolution and Human Behavior, online pub., doi:10.1016/j.evolhumbehav.2008.02.001