dimanche 22 juin 2008

Croissez, multipliez… L’église comme club de rencontre

La religiosité américaine est un phénomène connu qui surprend toujours les observateurs. Alors que la plupart des sociétés modernisées connaissent une baisse séculaire des pratiques et croyances religieuses, celles-ci se maintiennent à un niveau élevé dans la population américaine, première puissance matérielle du monde. Une recherche de Jason Weeden (Université d’Arizona) et de ses collègues pourrait expliquer un des facteurs de succès.

Les chercheurs ont analysé les réponses de 21.131 individus ayant participé au General Social Survey, mené chaque année pour mesurer l’évolution des attitudes, mentalités et pratiques américaines. Il en ressort que les comportements sexuels et attentes familiales sont les deux facteurs les plus prédictifs de la pratique religieuse régulière, avant l’âge, le sexe et diverses autres variables. Le résultat a été affiné avec l’étude des variables sexuelles, morales et religieuses de 902 étudiants.

Ainsi, les individus insistant sur la fidélité du partenaire, espérant de nombreux enfants, valorisant la stabilité du couple sont aussi ceux qui ont la plus forte probabilité d’aller régulièrement à l’église ou au temple. La pratique d’une religion maximise donc les chances de trouver un partenaire sexuel conforme à ses vœux, mais renforce aussi le couple futur en créant une pression morale sur le comportement des époux. « Ces données suggèrent que les stratégies reproductives sont au cœur des variations de pratique religieuse », concluent les auteurs. Si les traits comportementaux à la base de cet assortative mating ont eux-mêmes une base génétique, la religiosité devrait se renforcer dans l’aile la plus pratiquante de la population. Il n’est d’ailleurs pas exclu, à titre d’hypothèse, que la puissance de la religion dans la société américaine s’explique en partie par le profil de sa population fondatrice, composée on le sait d’individus appartenant à des minorités très religieuses ayant fui les persécutions du Vieux Continent.

Référence :
Weeden. J. et al. (2008), Religious attendance as reproductive support, Evol. Hum. Behav., doi:10.1016/j.evolhumbehav.2008.03.004

mardi 17 juin 2008

Filles, garçons et maths : un biais culturel ?

Les différences cognitives entre les sexes ont fait l’objet d’une abondante littérature depuis un demi-siècle. Un constat classique est la supériorité moyenne des garçons sur les filles aux épreuves mathématiques, et la domination inverse des filles sur les garçons aux épreuves de lecture ou écriture (pour une synthèse assez complète, voir Halpern et al. 2007). Personne ne nie le constat, mais le débat fait rage pour son explication. Selon les uns, la différence est presque uniquement culturelle : les métiers techniques et scientifiques ont une image masculine qui décourage les jeunes filles, de leur propre chef ou par pression sociale pour s’engager dans une carrière plus féminine. Selon les autres, ce biais culturel est une réalité, mais il existe également des prédispositions psychologiques d’origine biologique dans les cerveaux masculins et féminins.

Une étude parue dans Science vient de réveiller ce vieux débat. Quatre chercheurs italiens se sont penchés sur les résultats de l’épreuve standardisée PISA (Programme for International Student Assessment) mise en place par l’OCDE pour évaluer les différences de performance selon les systèmes scolaires nationaux. 276.165 lycéens âgés de 15 ans et issus de 40 pays ont passé en 2003 le PISA, et les chercheurs ont analysé les différences sexuelles dans les épreuves de mathématiques et de lecture, pays par pays.

Il en ressort qu’en moyenne sur l’ensemble des participants, les prédictions de performance selon les sexes et les disciplines sont validées. Mais l’analyse pays par pays révèle des différences notables : dans certains pays, les filles se rapprochent voire dépassent les garçons dans les épreuves mathématiques. Par exemple, la différence score des filles versus score des garçons en mathématiques est de -22,6 points en Turquie, mais elle est de +14,5 en Islande. Les chercheurs ont ensuite corrélé ces différences nationales au statut des femmes dans les sociétés concernées à l’aide du Gender Gap Index (GGI) : cet indice composite du Forum économique mondial intègre des données comme les opportunités professionnelles, politiques, éducatives et sanitaires entre les sexes. Il apparaît qu’il existe une corrélation positive de 0,59 (environ 36 % de la variance concernés) entre le GGI et les scores en mathématiques des filles. Le tableau ci-dessous montre ces résultats pour 10 pays.


L’analyse plus détaillée des résultats offre des informations intéressantes. D’abord, la domination des filles sur les garçons dans le domaine de la lecture est constante, et elle est même accentuée lorsque le GGI est favorable. Ensuite, les filles rattrapent les garçons dans les environnements les plus favorables, voire les dépassent comme en Islande et dans ce pays, l’égalisation est valable pour la distribution moyenne aussi bien que pour les extrémités de cette distribution (rapport fille/garçon de 1,17 dans le 99e percentile des meilleurs résultats aux épreuves de maths).

Ce travail montre-t-il que les différences cognitives entre filles et garçons sont entièrement d’origine culturelle ? Non. Comme nous l’avons vu, la différence filles-garçons dans le domaine de la lecture est robuste quel que soit le niveau d’égalisation sociale des sexes, et s’accentue même dans les sociétés les plus égalitaires. Cela plaide en faveur d’une différence innée. L’analyse au sein des sexes, et non plus entre les sexes, montre que les garçons ont toujours de meilleures performances en mathématiques qu’en lecture et, au sein des mathématiques, en géométrie qu’en arithmétique. L’observation est inverse au sein des résultats féminins, meilleurs en lecture qu’en maths et en arithmétique qu’en géométrie. Le fait que les jeunes filles visent moins les carrières scientifiques que les garçons est assez logique et ne s’explique pas forcément par des différences de traitement : elles se dirigent vers des domaines où elles se sentent et sont objectivement les meilleures au sein de leur propre parcours scolaire.

Outre que ce résultat sur une année doit être répliqué dans de nouvelles études pour être confirmé et surtout affiné, sa robustesse souffre enfin du choix de l’âge moyen des sujets (15 ans). On sait en effet que les différences filles-garçons dans les domaines scolaires tendent à se creuser après l’adolescence, c’est-à-dire à la fin de la scolarité et à l’entrée à l’université. Une comparaison des scores à 13, 15 et 17 ans serait par exemple intéressante pour analyser l’effet des modifications neuro-hormonales, comportementales et psychologiques associées à l’adolescence. Dernière remarque : les analyses mériteraient d’être doublées d’une étude plus fine des facteurs de variance biologique pays par pays. Les chercheurs italiens ont procédé à une mesure de distance génétique entre les 40 pays fondé sur le polymorphisme de certains sites ADN. Mais cette analyse phylogénétique de population ne nous donne pas forcément les informations les plus utiles pour l’objet étudié : on sait en effet que le dimorphisme sexuel suit un gradient Nord-Sud, c’est-à-dire que les différences moyennes hommes-femmes (par exemple taille, ratio taille-hanche-épaule, traits faciaux, etc.) tendent à se réduire à mesure que l’on remonte du Sud vers le Nord. Ce sont ces indices biologiques de dimorphisme au sein et entre les populations qu’il serait intéressant de corréler avec les différences de résultats scolaires entre les sexes.

Pour conclure, cette étude suggère que le statut socio-culturel des filles et des garçons influe sur leurs différences scolaires dans le domaine des mathématiques et de la lecture, en même temps qu’elle montre la persistance de différences cognitives entre les sexes et au sein de chaque sexe quel que soit l’environnement des études.

Références :
Guiso L. et al. (2008), Culture, gender, and math, Science, 5880, 1164-1165, doi: 10.1126/science.1154094
Halpern D.F. et al. (2007), The Science of sex differences in science and mathematics, Psychological Science (APA Public Interest Series), 8, 1, 1-51.

Orientation sexuelle, gènes et milieux

Quels sont les déterminants de notre orientation sexuelle ? Une équipe de chercheurs suédois vient de procéder à une analyse d’héritabilité sur une population large de 3 826 paires de jumeaux, monozygotes ou dizygotes, âgés de 20 à 47 ans, ayant répondu à une enquête en 2005 et 2006. Environ 7 % d’entre eux avaient des rapports homosexuels. Chez les hommes, 34 à 39 % de la variance s’expliquent par des facteurs génétiques, 61 à 66 % par l’environnement unique de l’individu, 0 % par l’environnement partagé (familial). Chez les femmes, les valeurs sont de 18-19 %, 64-66 % et 16-17 %. L’étude confirme donc de précédents travaux montrant l’existence d’une part génétique dans l’orientation sexuelle, l’influence faible ou nulle du milieu familial, l’importance des expériences individuelles.

Référence :
Langström N. et al. (2008), Genetic and environmental effects on same-sex sexual behavior: A population study of twins in Sweden, Archives of Sexual Behavior, online pub., doi : 10.1007/s10508-008-9386-1

lundi 16 juin 2008

Miroir de la pornographie

Une équipe française (Inserm, CNRS, Université Pierre et Marie Curie) dirigée par Harald Mouras a invité huit jeunes mâles à regarder trois séquences vidéo : un documentaire, un extrait de film comique et un extrait de film pornographique. Les spectateurs comblés voyaient dans le même temps leur cerveau observé en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, et leur érection mesurée en temps réel par un pléthysmographe pénien. Malgré ces conditions un peu perturbantes, les huit volontaires semblent avoir apprécié la séance, notamment les extraits de X. Les chercheurs de leur côté ont mesuré les corrélations entre l’activité cérébrale et l’activité pénienne. Ils ont observé que l’érection est proportionnelle à et précédée par une agitation des cellules nerveuses de la pars opercularis, dans le gyrus frontal inférieur. Cette région est connue pour comporter des neurones miroir, spécialisés dans la représentation mentale des actes d’autrui. C’est la première fois qu’un lien est mis en évidence entre l’activation des neurones miroir et la réponse automatique à des actes observés, réponse prenant ici la forme d’une érection.

Référence :
Mouras H. et al. (2008), Activation of mirror-neuron system by erotic video clips predicts degree of induced erection: an fMRI study, Neuroimage, online pub. doi:10.1016/j.neuroimage.2008.05.051