dimanche 28 décembre 2008

Echec et mâle

L’équipe de Merim Bilalić se demande pourquoi on trouve si peu de femmes parmi les meilleurs joueurs d’échecs – une question qui en rappelle une autre, récurrente, sur la faible représentation féminine dans certaines disciplines scientifiques. En analysant les données de clubs d’échecs allemands, les auteurs montrent que la domination masculine peut s’expliquer à 96% par de simples statistiques : les hommes étant 16 fois plus nombreux à jouer aux échecs que les femmes, il est prévisible que l’extrémité de la distribution gaussienne des talents à ce jeu contienne bien plus d’hommes que de femmes. C’est-à-dire: si l’on prend un groupe de 100 femmes et 1600 hommes classés selon leurs résultats aux tournois, le dernier percentile des joueurs les plus brillants sera presqu’entièrement formé d’hommes (et cela sans besoin de faire référence à un avantage biologique ou culturel : ce serait la présence d’une forte proportion de femmes dans les meilleurs qui serait une anomalie statistique demandant une explication). Mais ce genre observation ne fait évidemment que repousser le problème: pourquoi trouve-t-on 16 fois de garçons que de filles dans la base démographique du jeu d’échecs?

Référence : Bilalić M. et al. (2008), Why are (the best) women so good at chess? Participation rates and gender differences in intellectual domains, Proc. Roy. Soc. B, online pub., doi : 10.1098/rspb.2008.1576.

lundi 15 décembre 2008

Gènes masculins, sex-ratio et après-guerre

Une étude menée par Corry Gellatly (Université de Newcastle) suggère que le sexe des enfants ne suit pas une répartition aléatoire 50/50. Les femmes possèdent deux chromosomes X, les hommes un X et un Y. C’est donc le chromosome légué par l’homme qui va déterminer le sexe de l’enfant. En analysant 927 arbres généalogiques totalisant 556.387 personnes d’origine européenne ou nord-américaine et remontant jusqu’au début du XVIIe siècle, les chercheurs ont observé que les hommes ayant plus de frères ont une probabilité un peu plus forte d’avoir des fils. Inversement, les hommes ayant plus de sœurs augmentent leurs chances d’avoir des filles. Aucune distorsion n’est observée selon la fratrie des femmes. Le modèle expliquant le mieux cette observation est l’existence d’un gène autosome masculin avec différents allèles dont certains font pencher la balance en faveur des spermatozoïdes porteurs de Y.

Cette étude suggère une explication pour un phénomène observé de longue date : la surnatalité masculine après les guerres. La nature semble ainsi bien faite, si l’on peut dire, puisque les conflits régionaux ou mondiaux ayant entraîné des morts (généralement masculines) en grand nombre sont suivis par un surcroît de mâles dans le boom démographique d’après-guerre. Mais comment expliquer cet ajustement observable à l’échelle d’une population ? Le travail de Gellatly propose le mécanisme suivant. En supposant que tous les hommes jeunes sont mobilisés sur le front, les parents ayant beaucoup de garçons ont un peu plus de chance d’en voir certains survivre à la guerre que ceux en ayant peu parmi beaucoup de filles. Dans le pool masculin de l’après-guerre, les mâles ayant beaucoup de frères sont donc sur-représentés par rapport aux autres ayant beaucoup de sœurs. S’il existe une prédisposition génétique à engendrer des fils plutôt que des filles dans cette condition de fratrie à dominante masculine, le sex-ratio des naissances va se déséquilibrer en faveur des garçons.

Référence : Gellatly C. (2008), Trends in population sex ratios may be explained by changes in the frequencies of polymorphic alleles of a sex ratio gene, Evolutionary Biology, oline pub., doi : 10.1007/s11692-008-9046-3.

jeudi 11 décembre 2008

La crise est-elle un phénomène masculin ?

Bon nombre d’Occidentaux vivent au-dessus de leurs moyens. Lorsqu’un secteur spéculatif entre en crise, comme l’immobilier, et entraîne dans son sillage le déclin de la croissance économique, la dette de ces particuliers se transforme en actif hautement toxique que tout le monde tente désespérément de se refiler. Mais au bout du compte, d’où vient la pulsion initiale d’endettement faisant que certains accumulent toutes sortes de crédits à la consommation ?

Daniel J. Kruger, chercheur à l’Université du Michigan, suggère qu’une partie de la réponse se trouve du côté… du sexe. Il adopte le point de vue de la psychologie évolutionnaire, une discipline consistant à analyser la cognition et le comportement des humains au prisme des hypothèses darwiniennes sur l’évolution. Or, Darwin nous a enseigné que l’évolution fonctionne selon une loi assez simple, la prime à celui qui produit le plus de descendants viables dans un milieu donné. Chez les espèces sexuées comme la nôtre, cela suppose donc d’attirer des partenaires. Or, l’être humain est sensible à un grand nombre d’indices de qualité reproductive, parmi lesquels la richesse et le statut figurent en bonne place : l’accumulation de biens mobiliers ou immobiliers augmente la probabilité de séduire des partenaires. Cela s’observe particulièrement dans la stratégie de séduction des mâles envers les femelles. Si Nicolas Sarkozy devait résumer l’hypothèse de Kruger par une de ses formules simples et délicates dont il a le secret, cela donnerait : «Consommer plus pour baiser plus».

Pour donner une première consistance à son hypothèse, Kruger a réalisé une étude téléphonique sur 409 individus par ailleurs enrôlés dans une enquête générale sur la santé. 100 étaient des hommes, 309 des femmes. Le chercheur a évalué leur attitude économique par des questions sur leur comportement d’épargne et de dépense. Il a également utilisé des questions standardisées du Sociosexuality Inventory (SOI) pour connaître leurs succès sexuels passés et leurs attentes futures (en partenaires conquis et espérés). Résultat : la tendance à la dépense plutôt qu’à l’épargne est un bon prédicteur chez les hommes (mais pas chez les femmes) du nombre de partenaires séduits dans les cinq dernières années et espérés dans les cinq prochaines. Kruger suggère donc de creuser la piste, en étudiant notamment plus en détail le facteur psychologique de prise de risque : on sait qu’il est généralement plus marqué chez les hommes que chez les femmes ; et la corrélation de la dépense financière et de la quête sexuelle pourrait être expliquée par ce facteur commun (c’est-à-dire que les hommes portés au risque financier sont par ailleurs portés au risque sexuel, sans que le second soit la motivation réelle du premier, la tendance à prendre des risques étant la cause commune des attitudes économiques et des stratégies reproductives).

En tout état de cause, d’innombrables facteurs autres que la sexualité permettent de donner une lecture psychologique de la crise actuelle. J’y reviendrai dès que possible en évoquant deux essais récemment traduits en français, Predictably Irrational de Dan Ariely et The Black Swam de Nassim Nicholas Taleb. Le point commun de toutes ces publications, et de bien d’autres dans le domaine florissant de l’analyse du comportement des acteurs économiques, c’est que la figure heuristique de l’Homo oeconomicus comme agent rationnel calculant son meilleur intérêt dans l’information disponible a du plomb dans l’aile. Ce paradigme de l’économie classique correspondait peut-être à l’idéalisme rationnel dominant le siècle l’ayant vu naître, mais il ne se retrouve pas dans les travaux récents de l’anthropologie et la psychologie scientifiques. Homo investit bien plus que l’intérêt et la raison dans son économie, laquelle est aussi bien infusée de désirs et de passions dont la combinatoire produit des effets collectifs assez différents des résultats des modèles…

Référence :
Kruger D.J. (2008), Male financial consumption is associated with higher mating intentions and mating success, Evolutionary Psychology, 6, 603-612 (lien pdf, anglais)

Illustration : Le publicité sait parler aux hommes (DR, source).

Vision, odeur et attraction

On a beaucoup écrit ces dernières années sur l’attractivité sexuelle des odeurs corporelles, montrant que les humains y sont encore sensibles. Du moins en situation expérimentale, lorsque les odeurs ne sont pas masquées par des parfums ou désodorisants, lorsque le cycle ovulatoire des femmes n’est pas perturbé par la contraception, etc. Le New Scientist a récemment publié un papier sur ce thème. Joshua D. Foster vient de publier dans le Journal of Social Psychology un travail comparant la manière dont 44 femmes jugent la qualité de partenaire sexuel de 21 hommes, soit par des stimuli olfactifs (T-shirt porté une nuit), soit par des stimuli visuels (photographie), présentés ensemble ou séparément. Il en ressort que la vision est bien plus prédictive que l’odeur pour l’attractivité d’un mâle. Mais les femmes fertiles ne prenant pas de contraception attribuent tout de même des scores visuels et olfactifs assez proches.

mardi 9 décembre 2008

Domaine ZP et contraceptif non-hormonal

La matrice externe (appelée zone pellucide) des ovocytes présente une certaine structure indispensable à sa reconnaissance par les spermatozoïdes de la même espèce, et donc à la fécondation. Luca Jovine et ses collègues suédois publient dans Nature une étude par cristallographie de la structure moléculaire des protéines du domaine ZP-N (en l’occurrence ZP-2 et ZP-3 pour l’ovocyte des mammifères) de cette matrice. Certaines pathologies de la zone pellucide provoquent l’infertilité chez l’animal et chez l’homme. Les chercheurs pensent que leur travail peut aboutir à la mise au point d’un contraceptif non-hormonal.

Le Web 2.0 a-t-il un sexe ?

L’anthropologue darwinienne Helen Fischer est l’une des invitées du Forum Le Web, qui se tient à Paris aujourd’hui et demain. Le thème en est «l’amour !», et la problématique : le Web 2.0 modifie-t-il les modes de rencontres et de pratiques amoureuses. Dans Le Monde, Fischer note : «Se dévoiler devant ses semblables n'est pas vraiment une chose nouvelle. Pendant des millions d'années nos ancêtres ont voyagé en tribu pour chasser et tout le monde connaissait à peu près tout des autres. Nos concepts d'"intimité" sont très récents à l'échelle de l'histoire de l'humanité. S'exhiber sur le Net est une publicité à la fois d'ordre social et sexuel que beaucoup de gens font tout naturellement.» Dans le même temps, l’étude SocioGeek sur l’expression de soi et l’usage des réseaux communautaires donne ses premiers résultats. Sur 11.000 personnes ayant rempli le questionnaire, l’âge moyen est de 28 ans et 73,6% sont des hommes. Les trois types de site les plus utilisés sont Facebook (69%), les blogs (36%) et Copains d'avant (24%). 4,31% seulement des répondants considèrent que l’usage du web social est avant tout la rencontre amoureuse, alors que plus de la moitié les utilise pour discuter avec des gens déjà connus hors du réseau. Tout cela semble assez endogame et gentillet, finalement.

dimanche 7 décembre 2008

Wikipedopornographia

Amusante histoire sur le site de Libération. Depuis trois jours, il est impossible pour un certain nombre d’internautes anglais d’accéder à Wikipedia. Motif : par un jeu complexe de proxies de filtrage, l’encyclopédie a été mise sur la liste noire des sites à contenu répréhensible par les cybercurés de l’International Watch Foundation UK, un groupe dédié à la traque des horriiiiiiiiibles contenus d’incitation à la pédopornographie ou à la haine raciale. En l’occurrence, Wikipedia a commis le crime de publier cette photo de la pochette de Virgin Killer, un album des Sorpions datant de 1976. Commentaire du journaliste : «Dans cette nouvelle histoire, on retrouve donc tous les ingrédients de ce qui est en train de se passer un peu partout dans le monde. C’est-à-dire essayer de mettre en place un contrôle et un filtrage centralisé d’Internet au nom de la lutte contre la pédo-pornographie. Et ce malgré l’avis de nombreux experts et acteurs du web qui jugent toutes les mesures aujourd’hui envisageables comme techniquement impossibles sans gros dommages collatéraux.»

Illustration : DR.

Les yeux dans les yeux

La dilatation des pupilles est un grand classique de la littérature de gare — «ses pupilles immenses se dilataient à l’infini sous l’effet de la chaleur, de l’alcool et du désir» (© auteur, titre, éditeur et gare inconnus) — , mais elle est plus rare dans la littéraure de laboratoire. Kathryn Demos et ses collègues, du Laboratoire de neurosciences cogitives du Dartmouth College (New Hampshire, Etats-Unis), s’y sont intéressés. Des sujets mâles et volontaires subissaient une imagerie par résonance magnétique fonctionnelle en même temps qu’ils observaient des photographies de femmes dont les pupilles variaient par rapport à leur diamètre moyen. Résultat : l’amygdale droite et la substantia innominata (noyau accumbens, noyau de Meynert) des hommes s’excitent dans le cerveau à mesure que l’œillade féminine se dilate. Après questionnaire, il ressort que les sujets n’étaient pas conscients des variations observées. Il semble donc, concluent les chercheurs, que les pupilles adressent des indices inconscients d’excitation et d’intérêt chez les conspécifiques – le phénomène n’étant pas limité à l’espèce humaine.

Référence : Demos K.A. et al. (2008), Human amygdala sensitivity to the pupil size of others, Cerebral Cortex, 18, 12, 2729-2734, doi:10.1093/cercor/bhn034

Illustration : C. Muller

jeudi 4 décembre 2008

Vieux monsieur riche cherche jeune fille aimable

Linda Gustavsson et Jörgen I. Johnsson ont examiné 400 annonces matrimoniales, publiées sur des journaux ou des sites suédois entre novembre 2006 et février 2007, par des hétérosexuels âgés de 20 à 79 ans. Ils ont analysé l’attractivité physique (décrite pour soi ou souhaitée chez l’âme sœur), les ressources économiques (idem) et l’âge (idem). Il en ressort que les hommes des catégories 20-39 ans, 40-59 ans et 60-79 ans tendent en moyenne à chercher des partenaires plus jeunes qu’eux, surtout chez les 40-59 ans. Les femmes, de leur côté, précisent plus volontiers qu’elles acceptent des partenaires plus âgés. 55 % des hommes évoquent leurs ressources dans l’annonce, contre 23 % des femmes, ; mais 40 % des femmes stipulent que la question des ressources (du partenaire) entre en ligne de compte dans leur choix contre 15 % seulement des hommes. Du côté de l’attractivité physique, on n’observe pas de différence notable entre les sexes. Deux prédictions darwiniennes sur trois sont donc confirmées par ce travail : que les mâles tendent à chercher des partenaires plus jeunes que ne le font les femelles ; que les ressources ou le statut intéressent plus les femelles que les mâles. En revanche, l’importance plus grande conférée à la beauté physique du futur partenaire par les hommes que par les femmes ne se retrouve pas dans le travail. Les auteurs suggèrent que la place croissante du « look » dans nos sociétés pourrait égaliser les attentes psychologiques en ce domaine. Les vieux riches ont donc intérêt à être aussi des vieux beaux...

Référence :
Gustavsson L. et J.L. Johnsson (2008), Mixed support for sexual selection theories of mate preferences in the Swedish population, Evolutionary Psychology, 6, 4, 575-585. (Texte téléchargeable ici, pdf, anglais).

jeudi 30 octobre 2008

Génétique du transexualisme (2)

En juillet dernier, nous nous faisions l’écho des travaux de Clemens Temfer et ses collègues ayant mis en évidence une prédisposition génétique au transsexualisme FtM (femelle vers mâle). Des chercheurs australiens dirigés par Vincent Harley viennent d’identifier une mutation génétique favorable au transsexualisme MtF (mâle vers femelle). Ils ont pour cela étudié une cohorte de 112 transsexuels – la plus importante rassemblée à ce jour – avec 258 cas de contrôle. Trois régions de susceptibilité ont été analysées : la répétition CAG du gène AR (récepteur androgène), la répétition CA du gène Erß (récepteur bêta estrogène) et la répétition TTTA du gène CYP9 (aromatase). Le gène AR du récepteur androgène, qui permet à la testostérone de se lier aux cellules, a montré une association significative, contrairement aux deux autres. Cela confirme le résultat d’un précédent travail, mené sur une population plus petite (Henningsson et al. 2005). Le travail de l’équipe australienne est publié dans Biological Psychiatry.

mercredi 29 octobre 2008

Le rouge est mis

Dans un travail publié l’an dernier, Andrew J. Elliot (Université de Rochester) et ses collègues avaient montré que la couleur rouge représente un signal aversif dans un contexte de performance : des individus placés en situation de test réussissent un peu moins bien si le contexte montre des signaux rouge plutôt que neutres (achromatiques : noir, blanc, gris), bleus ou verts (Elliot et al. 2007). Une nouvelle étude d’Elliot, co-réalisée avec Daniela Nesta, est aujourd’hui consacrée à l’association du rouge et de l’attirance masculine pour les femmes.

Cinq expérimentations indépendantes ont été réalisées, où les hommes hétérosexuels (parfois des femmes) devaient juger l’attractivité physique et la désirabilité sexuelle de femmes présentées en photographie. Les femmes avaient été choisies comme modérément attractives selon un précédent classement. Leur pose était identique (torse et face visibles, vêtements neutres, sourire), la photographie en noir et blanc. Le fond de la photo variait selon les expérimentations (blanc, gris, bleu, vert et rouge), ainsi que la durée d’exposition (5 secondes ou durée libre, changement de diapo par les volontaires). Il en ressort que les femmes présentées sur un fond rouge ont été jugées plus attractives physiquement et plus désirables sexuellement que sur tout autre fond. La durée de l’exposition ne change pas le jugement. L’effet rouge est sensible pour les hommes seulement (les femmes testées ne jugent pas les autres femmes plus attractives). Les autres traits de caractère évalués (amabilité, gentillesse, intelligence) ne montrent pas de variations en fonction de la couleur du contexte. Enfin, les hommes ne sont pas conscients du rôle de la couleur dans leurs jugements.

L’association de la couleur rouge avec l’amour et le sexe est solidement documentée dans l’histoire culturelle. Les anthropologues ont montré que les pigments ocre sont utilisés comme décorations corporelles dans les rituels anciens de chasseurs-cueilleurs, pour signaler l’entrée des jeunes filles dans leur âge fertile. Rouges à lèvres et fonds de teint de nos sociétés modernes sont le lointain écho de ces parures physiques. Mythologie, folklore, littérature et art associent souvent le rouge à l’amour, la passion, la luxure ou la fertilité. Et le cœur symbolisant l’amour est bien sûr d’un rouge vif. Mais ces associations culturelles ne donnent qu’une partie de l’histoire, car le signal rouge est aussi bien lié à la sexualité chez les animaux, notamment les singes et primates non humains (grands singes ou primates hominoïdés). Un grand nombre de femelles montrent une coloration rouge sur la face, la poitrine, le périnée ou la vulve lorsqu’elles sont en phase ovulatoire. Cette pigmentation est due au déséquilibre entre œstrogène et progestérone, entraînant une vascularisation accentuée en phase fertile.

Référence :
Elliot A.J., D. Niesta (2008), Romantic red: Red enhances men's attraction to women, Journal of Personality and Social Psychology, 95, 5, 1150-1164.

Illustrations : Andy Warhol, Marilyn, 1967. Jeff Koons, Jeff eating Ilona, 1991. (DR)

(Merci à Daniela Nesta de m’avoir communiqué son papier).

lundi 27 octobre 2008

Sexe et leadership

Si l’espèce humaine est plus égalitaire que certaines cousines primates, elle n’échappe pas au phénomène de dominance que l’on observe dans tous les domaines de la vie sociale. Le leadership peut être analysé par ses fonctions : maintenir l’unité du groupe et gérer ses conflits internes lorsqu’il faut partager des ressources ; coordonner ce groupe lorsqu’il est en situation de menace, généralement l’attaque d’un autre groupe. Ou par ses bénéfices : un avantage dans la compétition sexuelle et une fertilité finale plus abondante. Cette fonction dominante est généralement associée aux mâles, notamment en raison de l’importance des conflits violents dans l’évolution humaine et de diverses prédispositions masculines à l’agression ou la défense contre l’agression. Cependant, on peut faire l’hypothèse que les sexes ne présentent pas tout à fait le même profil d’intérêt selon la nature de la compétition, intragroupe ou intergroupe. Le dimorphisme sexuel suggère en effet que les femmes ont plutôt intérêt à créer et maintenir des réseaux sociaux stables pour se protéger et protéger leurs enfants, donc à maintenir la paix au sein de groupe. Les hommes peuvent envisager la formation de coalitions et les situations de conflits intergroupes comme des opportunités reproductives.

Mark Van Vugt, qui dirige le laboratoire de psychologie sociale évolutionnaire à l’Université de Kent, s’intéresse notamment à ces questions de leadership dans une perspective darwinienne. Un précédent travail de son laboratoire avait montré que, placés dans une situation conditionnelle (élire le président d’un pays imaginaire dans un certain contexte), les individus des sociétés occidentales ne font pas le même choix selon que le pays est menacé de dissensions internes ou de guerre avec un voisin : dans le premier cas, les 45 volontaires de l’expérience (dont 27 femmes) ont préféré un leader féminin (75,6 %) ; dans le second cas, un leader masculin (91,1 %). Ce résultat préliminaire a ici été reproduit avec 50 volontaires (dont 26 femmes, âge moyen 21 ans) dans un jeu du bien commun, consistant à choisir entre un investissement personnel et un investissement public. Le jeu a été mené dans quatre conditions : soit il s’agissait de classer les individus les plus coopératifs au sein des groupes (orientation intragroupe) ; soit il s’agissait de classer les groupes selon qu’ils parvenaient à coopérer mieux que d’autres dans le cadre d’une coupe inter-universitaire (orientation intergroupe) ; soit une situation mixte avec évaluation de la coopération interne et de la compétition externe ; soit enfin une situation neutre. Une fois expliqué le déroulement du jeu, les sujets devaient élire un leader pour coordonner les investissements : femme ou homme. Ce leader était en fait imaginaire, quoique présenté comme réel (courte biographie), mais les joueurs considéraient qu’il serait amené à analyser leurs stratégies par la suite. Résultats : les femmes ont été préférées comme leaders dans les conditions intragroupe (93,3 %) et mixte (75 %), les hommes dans la condition intergroupe (78,6 %), et aucune préférence n’a émergé dans la condition neutre de contrôle. Dans le déroulement du jeu, les investissements vers le bien public ont été supérieurs dans les groupes dirigés par les femmes là où l’on mettait l’accent sur la coopération interne ; et l’inverse s’est vérifié dans la compétition externe, où les groupes dirigés par les hommes se sont montrés plus performants.

Référence :
Van Vugt, M., B.R. Spisak, (2008). Sex differences in leadership emergence in conflicts within and between groups, Psychological Science, 19, 9, 854-858, doi : 10.1111/j.1467-9280.2008.02168.x

mardi 21 octobre 2008

Longues jambes au pays de la longue marche

Avoir de longues jambes est un trait féminin que l’on dit apprécié par les hommes – vous vous en souvenez sans doute, la plupart des romans de gare comportent une phrase du genre « elle avait des jambes interminables ». Richard Fielding et ses collègues ont analysé une cohorte de 9998 Chinois. En ajustant par l’âge, le statut socio-économique et l’éducation, il s’avère que les femmes ayant de longues jambes (plus grande différence relative entre mesures de taille assise et de taille debout) ont aussi plus d’enfants que la moyenne. Mais cela ne se vérifie pas chez les hommes. Cette différence est plus marquée dans les classes pauvres. Une précédente étude parue dans le même journal (Evolution and Human Behavior) en mars dernier avait observé cette préférence chez un échantillon des sujets occidentaux (voir recension sur ce site).

Illustration : Patrick Demarchelier, Azzedine Alaïa et Yasmeen, 1991 (exposition en cours du photographe au Petit Palais, Paris, du 24 septembre 2008 au 4 janvier 2009).

lundi 20 octobre 2008

Les tribulations du Tribolium, un insecte plutôt gay

L’homosexualité mâle-mâle est assez fréquente chez le ver de farine Tribolium castaneum, un organisme-modèle souvent utilisé en laboratoire. Sarah Levis et son équipe, de l’Université Tufts (États-Unis), ont profité des mœurs de ce coléoptère gay pour tester diverses hypothèses sur l’émergence et la persistance de l’homosexualité dans l’évolution. Il en ressort que les accouplements des mâles ne sont ni associés à l’établissement d’une dominance sociale, ni liés à une « mise en bouche » permettant ensuite des pratiques copulatoires plus efficaces avec les femelles. Ils ne sont pas non plus dus à un priapisme congénital les faisant sauter sur tout ce qui bouge, puisque les vers Tribolium sont capables de discerner une femelle vierge d’une femelle ayant déjà copulé, ce qui laisse supposer que même dans un coin obscur, ils distinguent les mâles des femelles. Un très léger avantage a été mis en avant : en déposant son sperme sur un mâle, le ver a une petite chance de fertiliser indirectement une future femelle. Cela arrive dans 7 % des cas environ, mais n’aboutit qu’à 0,5 % des naissances viables. Pas de quoi donner un net avantage à la copulation homosexuelle. Il est possible, mais non testé dans l’article, que les mâles utilisent les liaisons homosexuelles pour se débarrasser des spermatophores anciens, et arriver avec des gamètes tout frais devant la femelle. Enfin, et c’est l’hypothèse la plus souvent retenue, l’homosexualité peut être un produit dérivé non adaptatif de certains traits génétiques qui, eux, améliorent la reproduction des porteurs (par exemple chez l’autre sexe, ou selon certaines conditions épigénétiques d’expression). Comme elle est répandue chez les animaux, et non «contre-nature» selon les idées reçues de nos grands-parents, il faut supposer que la vie lui a trouvé des avantages.

Altruisme : le choix des femmes ?

Nous avions évoqué  les principales hypothèses explicatives de l’évolution de l’altruisme chez l’espèce humaine : sélection de parentèle de W. Hamilton, anticipation de réciprocité de R. Trivers, sélection de groupe de D.S. Wilson et E. Sober. Mais il existe un quatrième facteur explicatif connaissant un regain d’intérêt : la sélection sexuelle. L’hypothèse en a été faite la première fois par le chercheur Amotz Zahavi, dans le cadre de sa « théorie du handicap » : un animal parvenant à supporter un ornement coûteux (par exemple un plumage abondant et vif) est supposé avoir de « meilleurs gènes » (pour la survie) qu’un autre, car il parvient à déjouer prédateurs et concurrents malgré son « handicap ». En général, ce sont les mâles qui exhibent ces caractères secondaires luxuriants et les femelles qui les sélectionnent. L’altruisme, notamment l’altruisme envers les non-apparentés, serait une forme de handicap : celui qui est capable de sacrifier temps et énergie pour les autres serait un bon parti. Dans le cas de l’espèce humaine, l’altruisme est rendu nécessaire par le dimorphisme sexuel et l’investissement parental : la grossesse est coûteuse et invalidante pour la femme, l’enfant connaît un développement lent appelant soin, nourriture et protection sur une longue durée. L’intérêt de la femme (sa probabilité relative de survie ainsi que celle de ses enfants) est de trouver un partenaire sexuel s’engageant durablement. Mais ce n’est pas forcément l’intérêt de l’homme, qui peut choisir une stratégie de dissémination de ses gènes (multiplier des partenaires sexuels, sans s’occuper ensuite des enfants). L’altruisme pourrait être un marqueur d’investissement parental : le fait de montrer une certaine constance dans l’engagement et l’attention en faveur des autres est corrélé avec une plus forte probabilité d’un tel engagement et d’une telle attention au sein du couple. La cognition et le langage ont pu de surcroît renforcer le « commérage sexuel » au sein des groupes humains dans l’évolution, la plus ou moins bonne réputation des mâles formant un filtre de sélection pour les femelles.

Plusieurs travaux ont documenté cette préférence pour l’altruisme dans la sélection du partenaire. Par exemple, on a montré que chez les chasseurs-cueilleurs, les meilleurs chasseurs du groupe partagent leur nourriture (c’est-à-dire que leurs familles ne sont pas avantagées) en même temps qu’ils ont le meilleur succès reproductif. L’altruisme ne peut en être pas la cause directe (puisqu’il y a partage, coûteux pour les apparentés), ce qui laisse entendre que cet altruisme fait l’objet d’une sélection indépendante des ressources. Les études interculturelles de David Buss ont montré que des traits psychologiques comme la gentillesse et le caractère compréhensif font partie des caractéristiques les plus appréciées dans le choix du partenaire à long terme (avant la richesse ou la beauté), dans 37 cultures contemporaines pourtant très différentes du point de vue technologique, économique, démographique ou religieux. D’autres recherches ont observé que parmi 76 traits possibles chez un reproducteur, la considération, l’honnêteté, la gentillesse, l’affection, la bienveillance figurent parmi les plus appréciés, les femmes étant plus portées que les hommes à les placer au sommet de leur hiérarchie de valeurs.

Des chercheurs en biologie et psychologie de l’Université de Nottingham (Royaume-Uni) viennent d’apporter une nouvelle pièce à ce dossier. Ils ont tout d’abord conçu une échelle qualitative de « préférence du partenaire pour des traits altruistes » (MPAT scale), validée par une démarche qualitative et quantitative auprès de 380 étudiants occidentaux. La conception de cette échelle incluait l’analyse de situation altruiste vers des non-apparentés (plonger dans une rivière pour sauver un inconnu, consacrer un peu de son temps libre à aider des voisins dans le besoin, être volontaire bénévole dans un hôpital, etc.). Sur 50 items, 16 se sont révélés efficaces pour cerner le degré d’altruisme et forger une analyse en composantes principales. De ce premier travail, il résulte que les femmes obtiennent un score supérieur à celui des hommes pour l’échelle MPAT, ce qui est conforme aux prédictions de la sélection sexuelle de l’altruisme. Cette échelle a ensuite été testée chez 340 couples d’âge divers (57,9 ans en moyenne). La même différence a été observée entre les sexes. Par ailleurs, plus le MPAT de la femme était élevé, plus l’altruisme du partenaire mesuré par autoquestionnaire standardisé l’était aussi (corrélation positive de 0,41). Une troisième étude a été consacrée au choix de personnes plus jeunes (398, âge moyen 19,4 ans) selon l’échelle MPAT. La même différence entre les sexes en ressort. Dans ces deux dernières analyses, les variations du niveau d’altruisme auto-rapporté des individus n’étaient pas significativement associées aux variations des préférences pour l’altruisme chez le partenaire (cela signifie que la préférence pour un partenaire altruiste n’est pas un simple dérivé de son propre altruisme).

Référence :
Philips, T. et al. (2008), Do humans prefer altruistic mates? Testing a link between sexual selection and altruism towards non-relatives, British Journal of Psychology, 99, 555-572, doi : 10.1348/000712608X298467

Illustration : photographie de Sabine Pigalle (exposition en cours, «Phobie», à la Galerie Bailly).

A lire aussi : sur la place de la sélection sexuelle dans l’évolution de la cognition humaine, L’intelligence sexuelle.

lundi 13 octobre 2008

Vision, sexe et spéciation

Yeux noirs et cheveux bruns comme critères de sélection d’un partenaire? Dans le règne animal aussi, les stimuli visuels jouent un rôle important. Chez de nombreuses espèces, les couleurs nuptiales du mâle décident de son succès ou de son échec auprès des femelles. Une étude menée avec des poissons multicolores révèle que ces choix ne sont pas dictés par une quelconque notion de beauté physique, mais par la sensibilité spectrale des yeux des femelles résultant elle-même d’une adaptation à leur environnement. Les femelles qui distinguent mieux le bleu porteront leur choix sur un mâle bleu chatoyant. Celles qui sont plus sensibles au rouge préfèreront un partenaire sexuel rouge vif. Ces préférences peuvent être si fortes qu’elles conduisent à l’apparition de nouvelles espèces – à condition bien sûr que la diversité d’habitats de leur milieu n’ait pas été compromise par des activités anthropiques néfastes. Alpha Galileo. > Suite

Ejaculation précoce : une base génétique

L’éjaculation est définie comme précoce lorsque le temps de latence intravaginale avant l’expulsion du sperme est de moins d'une minute. Une équipe de chercheurs néerlandais a étudié 89 sujets souffrant d’éjaculation précoce (face à 92 sujets sains de contrôle), et particulièrement leur polymorphisme génétique 5-HTTLPR (impliqué dans le transport et la réception de la sérotonine dans le cerveau). La moyenne géométrique des éjaculats étaient de 21 secondes chez les patients trop rapides. Le génotype LL s’est révélé être associé à cette précocité en comparaison des génotypes LS et SS. Bien qu’il n’y ait pas consensus international sur la définition et la mesure du trouble, on estime que l’éjaculation précoce concerne entre 20 et 30% des individus (Basile Fasolo 2005, Montorsi 2005, Porst 2007). Le cas est intéressant comme sujet de réflexion évolutionnaire. On pourrait se dire que les éjaculateurs précoces ont un avantage sur les compétiteurs, puisque déposant leur semence en quatrième vitesse, ils minimisent la probabilité d’être dérangés pendant l’acte. En même temps, il a été suggéré que la pénétration a aussi pour fonction de « nettoyer » le vagin de la présence d’un sperme concurrent, ce qui expliquerait la taille importante du pénis humain en comparaison des autres primates (Gallup et Burch 2005). Dans cette hypothèse, l’éjaculateur précoce se trouve désavantagé.

La voix de l'ovule

Depuis quelques années, les chercheurs sont en quête des marqueurs discrets de sélection sexuelle chez les humains. Gregory A. Bryant et Martie G. Haselton viennent d’étudier les variations de la voix chez les femmes selon qu’elles sont en phase folliculaire (fertilité haute) ou lutéale (fertilité basse). L’ovulation a été contrôlée par test hormonal. Les 69 volontaires devaient lire une phrase, et les variations de voix ont été analysées (fréquence fondamentale, dispersion de formant, gigue, vitesse d’élocution, etc.). Il en ressort que les femmes montrent une augmentation de la fréquence fondamentale (pitch) dans la période de fertilité maximale (fenêtre de deux jours avant l’ovulation). L’étude est publiée dans les Biology Letters.

dimanche 12 octobre 2008

Dites-le avec des fleurs

Soit des roses qui poussent sur une haie, d’autres qui sont posées en bouquet devant la porte d’une maison. Vous n’inférez probablement pas les mêmes significations de ces fleurs pourtant identiques. Dans Brain and Language, Kristian Tylén et ses collègues se sont demandé quelles régions cérébrales font cette différence dans le sens attribué aux événements. Réponse : ce sont les aires du langage (voie ventrale et pars triangularis du cortex frontal inférieur) qui s’activent pour interpréter de telles scènes en photographies. Ce qui pourrait suggérer que nos symboliques sociales sont, en partie, des dérivées de nos sémantiques linguistiques. Mais ce n'est pas évident, quand on y réfléchit : des espèces animales sans langage pratiquent l'offrande de biens en vue de la copulation. Il se peut que le sens du geste (offrir des roses) préexiste au langage, et que l'activation des aires cérébrales du langage soit dérivée de ce sens initial.

jeudi 9 octobre 2008

Du meurtre du père à l'alliance contre le mâle alpha

Dans Totem et tabou, Freud imagine une horde primitive où le père tout-puissant monopolise les femmes. Ses fils rebelles le tuent et totémisent son image, pour conjurer cet acte fondateur parricide. La biologie évolutionnaire a moins d’imagination littéraire ou d’inspiration symbolique, mais elle se pose parfois des questions assez semblables. Comment ont émergé les sociétés de chasseurs-cueilleurs, égalitaires, depuis des hordes primates hiérarchiques, dominées par un mâle alpha violent et polygame ? Trois chercheurs développent dans PloS ONE un modèle stochastique de formation des alliances au cours de l’hominisation. Avec un nombre limité de paramètres, les auteurs montrent qu’un système d’alliances peut très bien apparaître dans le cadre d’une compétition intense des individus pour le succès social et reproductif : dès lors que des associations dyadiques commencent à se former par affinité entre quelques individus, la meilleure stratégie pour les autres est d’en rejoindre une. Et lorsque ces alliances deviennent elles-mêmes héritables (transmission culturelle), on voit émerger dans le modèle la stratégie d’une alliance unique rassemblant tous les membres d’un groupe.

samedi 4 octobre 2008

Intelligence et choix féminin du partenaire

Nous commentions récemment une recherche montrant que les riches semblent posséder un léger avantage dans la compétition reproductive, quoique cet avantage soit moins évident dans une société moderne capitaliste que dans une société traditionnelle, contrairement aux idées reçues. Qu’en est-il donc des hommes intelligents ? Mark D. Prokosch et ses collègues, du Département de psychologie de l’Université de Californie, se sont penchés sur cette question. Dans un premier temps, 15 jeunes hommes (âge moyen 19,2 ans) ont passé un test de QI verbal (WAIS-III, sous-section vocabulaire). Ils ont ensuite été filmés dans diverses conditions : en train de lire à voix haute des titres de presse, en train de répondre à une question ouverte faisant appel à une certaine créativité (« que pourrait signifier la découverte de vie sur Mars pour la vie sur Terre ?), en train de se présenter sous le meilleur jour possible (« Donner trois raisons pour lesquelles vous seriez un bon candidat pour une rencontre ? »), en train de jouer au frisbee.

209 jeunes filles, d’âge moyen de 19,4 ans, ont dû ensuite remplir un questionnaire (incluant leur période d’ovulation au moment du test) et donner leurs préférences concernant les garçons visionnés. Ces préférences concernaient les deux dimensions habituellement analysées en psychologie évolutionnaire : rencontre à court terme (aimeriez-vous passer une nuit avec ce garçon), union à long terme (pourriez-vous prendre ce garçon comme mari et père de vos enfants). Les jeunes filles devaient aussi donner leur avis sur l’intelligence des garçons (sans connaître leur résultat au test, bien sûr, juste daprès les séquences), ainsi que sur diverses qualités : attractivité physique, créativité, sécurité financière, impression de sécurité (dans l’hypothèse d’être avec le garçon).

L’intelligence subjectivement évaluée a prédit 13,0 % de la variance dans le choix d’un homme à long terme, contre 30,7 % pour le physique, 18,2 % pour la sécurité et 14,3 % pour la richesse. Dans le cas d’une liaison à cour terme, l’intelligence expliquait 2,8 % de la variance, contre 59,2 % pour le physique, 2,9 % pour la sécurité et 10,1 % pour la richesse. Il est à noter que cette évaluation subjective a été positivement corrélée à l’intelligence réelle (mesurée) des hommes, ce qui signifie que les vidéos comportementales donnent de bons indices sur celle-ci. L’intelligence réelle des garçons a expliqué quant à elle 3,4 % du choix comme partenaire à long terme, et 3,2 % comme partenaire à court terme. La créativité, de son côté, a obtenu de scores élevés : 26,9 % de la variance pour une liaison à long terme ; 18,1 % pour une liaison à court terme ; mais la variable semblait cependant plus facilement confondue avec l’attractivité physique que l’intelligence). Il est à noter que la période ovulatoire est restée sans effet significatif sur l’expression de ces préférences, contrairement à d’autres traits où l’on observe des variations selon que la femme est fertile ou non.

Quelles conclusions doit-on tirer pour cet échantillon ? Tout d’abord, l’intelligence verbale peut être déduite de l’observation comportementale comme indice phénotypique, et elle n’est pas neutre dans le choix d’un partenaire à court comme à long termes : à autres qualités égales, l’intelligence est susceptible de faire la différence. Elle reste cependant loin derrière l’attractivité physique, comme premier facteur de choix. Ensuite, la créativité semble une dimension à part entière des préférences féminines, là encore pour des unions à court comme à long termes, ne se confondant que partiellement avec l’intelligence perçue ou mesurée. Il est possible que certaines qualités appréciées, comme le sens de l’humour, soient des indices de cette créativité.

Référence :
Prokosch M.D. et al. (2008), Intelligence and mate choice: intelligent men are always appealing, Evol Hum Behav, online pub., doi:10.1016/j.evolhumbehav.2008.07.004

(Merci à Mark Prokosch de m’avoir transmis son papier).


A lire aussi sur ce site : L'intelligence sexuelle.

mercredi 1 octobre 2008

La survie des plus riches

Quels sont justement les critères de fertilité au sein des sociétés humaines, c’est-à-dire la sélection phénotypique avantageant certains traits ? Les facteurs sont nombreux. Parmi eux, anthropologues et biologistes ont noté de longue date que la richesse, elle-même associée au statut social, est corrélée positivement au succès reproductif dans les sociétés anciennes ou les sociétés actuelles restées traditionnelles (pré-industrielles). Pour les sociétés contemporaines développées, les données sont cependant plus confuses. Des travaux n’ont trouvé aucune association particulière entre le statut socio-économique et la fertilité, suggérant un « paradoxe moderne » du point de vue darwinien. Mais ces travaux ont été contestés pour plusieurs raisons méthodologiques : études longitudinales trop courtes n’embrassant pas toute la période reproductive, confusion des facteurs éducation et revenus dans l’analyse. Deux travaux récents ont repris l’analyse en évitant ces biais (Hopcroft 2006 sur la société américaine, Fieder et Huber 2007 sur la population suédoise). Ils ont montré l’un et l’autre que l’éducation et le revenu agissent en sens contraire : un haut niveau d’éducation abaisse la probabilité de fertilité finale forte, alors qu’un haut niveau de revenus l’augmente, du moins chez les hommes. Car chez les femmes, c’est l’inverse : plus les revenus sont élevés, plus le nombre d’enfants est faible.
Daniel Nettle et Thomas V. Pollet ajoutent une nouvelle pièce au dossier, par une étude portant sur la société anglaise. Les chercheurs ont utilisé les données de la National Child Development Study (NCDS), suivant le parcours de vie de 17.416 sujets nés entre le 3 et le 9 mars 1958 (plus précisément la cohorte NCDS7 analysée en 2004, à l’âge de 46 ans, avec 11.939 sujets encore suivis à cette date). A la date de l’analyse, les femmes avaient en moyenne 1,83 enfant, les hommes 1,66. Les hommes les plus éduqués ont un peu moins d’enfants que les hommes les moins éduqués (-0,09), le différentiel étant plus marqué pour les femmes (-0,22). Concernant le lien entre la fertilité et les revenus, l’analyse statistique (régression en fonction ln) montre une relation significative et positive chez les hommes, significative et négative chez les femmes (figure ci-contre). D’où vient la fertilité plus importante des hommes riches ? Trois hypothèses ont été testées : la facilité à se marier, la facilité à avoir des enfants au sein du couple, la facilité à se marier plusieurs fois (mariage sériel et multiples foyers). La première et la troisième n’ont montré aucune association significative avec les revenus : la principale différence entre les hommes riches et les hommes pauvres réside en fait dans la plus grande probabilité pour les seconds de n’avoir aucun enfant. Sur ce point, éducations et revenus jouent en sens inverse, et pour les deux sexes (les hommes comme les femmes les plus éduqués ont une plus forte probabilité de n’avoir pas d’enfant du tout).

Nettle et Pollet ont ensuite comparé les données de son étude avec celles de Hopcroft, Fieder et Huber (trois sociétés contemporaines développées), huit sociétés agraires ou pastoralistes européennes et africaines, trois sociétés de chasseurs-cueilleurs. Le gradient de sélection linéaire sur l’axe de corrélation fertilité-richesse pour les mâles est de 0,13 dans les sociétés contemporaines, 0,24 dans les sociétés agraires européennes monogames, 0,30 dans les sociétés chasseurs-cueilleurs, 0,63 dans les sociétés africaines polygames (agraires ou pastoralistes). On constate donc que la corrélation est positive dans toutes les sociétés étudiées, mais qu’elle varie selon l’environnement économique, le mode d’acquisition des ressources et les systèmes de mariage.

«Cette étude pointe diverses questions du point de vue évolutif, concluent les auteurs. Avant tout, elle montre que les sociétés modernes sont quantitativement, et non qualitativement différentes des sociétés pré-industrielles. C’est-à-dire que les gradients sélectifs sur les ressources, au moins pour les hommes, sont atténués, mais ne sont pas abolis ou inversés. (…) Ces données suggèrent aussi une continuité appréciable entre les sociétés modernes et les sociétés de chasseurs-cueilleurs, où la sélection se fait sur l’aptitude des mâles à chasser, et même d’autres espèces, où le rang du mâle est généralement corrélé de manière positive au succès reproductif. (…) Bien sûr, la sélection phénotypique ne produit des changements évolutifs que si le trait a quelque base héritable. Nous manquons d’information pour savoir s’il y a des variations génétiques affectant la propension à accumuler des ressources à travers les cultures, mais de premières estimations fondées sur les études de jumeaux et d’adoption suggèrent une héritabilité modeste au sein des populations industrielles. Cela pose la possibilité intéressante d’une sélection génétique aussi bien que phénotypique en cours, liée à la richesse des mâles chez les humains».

Ajoutons pour finir qu’aux échelles de temps correctes pour l’évolution – plusieurs centaines à milliers de générations –, ces données fort intéressantes ne seront probablement plus pertinentes pour l’espèce humaine, ou pour une partie d’entre elle. Il est assez difficile d’imaginer qu’Homo sapiens ayant déchiffré les lois de l’évolution et séquencé son génome se contentera dans les décennies, siècles et millénaires à venir de se reproduire exactement à l’identique, en respectant scrupuleusement ce que le jeu aléatoire de la sélection avait produit pour ses ancêtres.

Référence et illustration :
Nettle D. T.V. Pollet (2008), Natural selection on male wealth in Humans, American Naturalist, online pub, doi : 10.1086/591690

(Merci à Daniel Nettle de m’avoir fait parvenir son travail).

Sexes, longévité et fertilité

Les sexes ne présentent pas tout à fait les mêmes caractéristiques de longévité, notamment chez les mammifères. On observe une surmortalité masculine à la plupart des âges, qui est notamment rapportée aux effets directs (affaiblissement du système immunitaire) et indirects (agressivité, compétition mâle-mâle) de la testostérone, hormone produite en bien plus grande quantité par les mâles que par les femelles. Alexei A. Maklakov a comparé les longévités masculines et féminines dans 205 pays et territoires où les données statistiques sont disponibles. Il a corrélé cette longévité à divers facteurs : latitude, densité de la population, fertilité finale, revenu national brut pondéré en parité de pouvoir d’achat (RNB-PPA). Il en résulte des différences intéressantes entre les sexes. Ainsi, si l’espérance de vie totale est associée aux conditions économiques favorables, ce sont les hommes qui en profitent le mieux (leur différence de mortalité avec les femmes décroît plus vite). Un facteur de premier plan est la fertilité : 33 % des différences de longévité par sexe entre pays sont associés au nombre d’enfants par femme. Ces résultats sont convergents avec les études sur les sociétés pré-industrielles et les sociétés de chasseurs-cueilleurs, montrant des longévités identiques entre hommes et femmes dues à une surmortalité féminine en couche. Les gains rapides en espérance de vie des femmes dans les sociétés développées et le différentiel creusé avec les hommes tiennent notamment à ce que les premières investissent de moins en moins dans la reproduction (baisse tendancielle de la fertilité finale). A contrario, cela rappelle que le coût direct de la reproduction est inégalement réparti entre mâles et femelles.

Référence :
Maklakov A.A. (2008), Sex difference in life span affected by female birth rate in modern humans, J. Evol. Hum. Behav., online pub., doi:10.1016/j.evolhumbehav.2008.08.002

(Merci à Alexei Maklakov de m’avoir envoyé son papier).

samedi 27 septembre 2008

Où sont les femmes ? La polygynie dans l'évolution humaine

Michael F. Hammer et ses collègues ont comparé 40 loci sur les chromosomes X et les autosomes (chromosomes non sexuels), chez 90 humains appartenant à des populations des six continents. Ils ont analysé la diversité génétique observée avec celle attendue par des modèles de dérives neutres depuis la séparation évolutive des hommes, des chimpanzés et des orangs-outans. Si l’on suppose un sex-ratio à peu près identique (autant d’hommes que de femmes dans le pool reproductif) et une reproduction à peu près panmictique (tout homme et toute femme ont en moyenne la même probabilité de se reproduire), on devrait trouver une diversité génétique des autosomes égale à 75% de celle du X. (L’homme n’a qu’un seul chromosome X, donc la recombinaison chez les deux sexes a un rapport 3 :4 , contre 4 :4 pour les autosomes). Or, le rapport Nx/Na (N étant la population effective de reproducteurs) est systématiquement plus élevé que 0,75 chez les humains, allant de 0,85 chez les San à 1,08 chez les Basques. En d’autres termes, le chromosome X présente des polymorphismes bien plus marqués que ce que l’on pourrait attendre. L’explication la plus plausible ? La polygynie, qui est attestée dans la plupart des cultures humaines, notamment les chasseurs-cueilleurs que l’on suppose les plus proches des conditions ancestrales d’adaptation. Et aussi bien chez la plupart des mammifères. La polygynie signifie techniquement une plus grande variance dans le succès reproductif des hommes comparés aux femmes. Elle n’est pas le seul facteur de diversification du X, mais les modèles indiquent que les autres causes possibles (effet fondateur, goulet d’étranglement démographique, migrations spécifiques à un sexe, etc.) seraient mineures au cours de l’évolution humaine. La réussite de la monogamie sociale serait donc un trait culturel récent de l’humanité. Et cette monogamie sociale ne signifie évidemment pas monogamie sexuelle ou effective : la pratique des divorces, remariages et naissances en multiples foyers a par exemple la même signature génétique que la polygamie, tout comme la classique infidélité lorsqu’elle aboutit à une grossesse.

Référence :
Hammer M.F. a tal. (2008), Sex-Biased evolutionary forces shape genomic patterns of human diversity, PLoS Genet, 4,9, e1000202. doi:10.1371/journal.pgen.1000202

Illustration : le rappeur américain 50 Cent et deux admiratrices (DR). Il semble que l’évolution humaine a été marquée par un succès reproductif inégal parmi les mâles. La polygynie de droit, de coutume ou de fait, observée dans la majorité des cultures humaines historiques ou actuelles, en est la traduction. Les cas inverses de polyandrie sont rarissimes, chez l’homme comme chez les mammifères. La monogamie « officielle », quoique revendiquée par un nombre plus faible de cultures, est le système ayant cependant connu la plus grande extension démographique dans l’histoire récente.

vendredi 19 septembre 2008

L'homme qui vient, la femme qui part

Notre système visuel est conçu de telle sorte que nous sommes capables de déduire un grand nombre d’informations d’une personne (ou d’un animal) en mouvement, même quand notre vision est imparfaite (champ de vision latéral, forme plus ou moins indistincte). De précédents travaux ont montré que les sujets peuvent inférer des analyses exactes – le sexe, l’état émotionnel voire certains traits de personnalité - à partir d’une perception partielle des mouvements d’autres sujets. L’une des méthodes expérimentales consiste à produire des figures virtuelles à partir d’une image réelle de personne en mouvement, image que l’on réduit par de simples points lumineux situés aux articulations du corps (on parle de «point-light figure»).

Anna Brooks et ses collègues ont demandé à des volontaires de juger si de telles figures virtuelles fixes étaient des hommes ou des femmes (avec le choix « neutre » en cas d’indécision) d’une part, d’estimer si les figures venaient vers eux ou au contraire s’éloignaient (impression subjective, car l’image était fixe). Résultat : les figures jugées masculines ou neutres sont plutôt perçues comme s’approchant de l’observateur, alors que les figures féminines semblent plus souvent en train de s’éloigner. Les auteurs suggèrent que ce biais d’orientation pourrait être une mise en alerte inconsciente, visant à focaliser l’attention sur un mâle qui s’avance afin d’évaluer ses intentions, qui ne sont pas forcément bonnes. Comme 90% des violences sont le fait de mâles plutôt que de femelles dans l’espèce humaine, un tel biais a son utilité. Quant à la perception inverse (la femme s’éloigne), elle peut aussi avoir ses raisons…

Référence :
Brooks A. et al. (2008), Correlated changes in perceptions of the gender and orientation of ambiguous biological motion figures, Current Biology, 18, 17, 9, R728-R729, doi: doi:10.1016/j.cub.2008.06.054

(Merci à Anna Brooks de m’avoir fait parvenir son papier).

mardi 16 septembre 2008

Comment rendre une souris mauvaise mère, mais bonne fille

Le comportement parental et social figure parmi les dispositifs innés de certaines espèces. Notamment la souris. Dans la mesure où ces comportements demandent d’évaluer les menaces de l’environnement, les chercheurs font l’hypothèse qu’ils impliquent certains circuits neuronaux de la peur, lié à l’amygdale. Mais cet amas de neurones en forme d’amande, situé dans le système limbique, comporte en réalité divers noyaux fonctionnels, possédant des connexions internes et des projections externes spécifiques.

L’équipe de Gleb P. Shumyatsky (Département de génétique, Université Rutgers, États-Unis) avait déjà identifié une région de l’amygdale, le noyau baso-latéral, comme modulant la sensation de peur et l’apprentissage qu’elle permet (perception des dangers, évitement ultérieur des situations menaçantes). Pour ce faire, ils avaient sélectivement inhibé un gène appelé stathmin (son expression participe à l’organisation des microtubules, très abondants dans les dendrites et axones du cerveau dont ils forment le cytosquelette). Que se passe-t-il du point de vue comportemental quand le gène stathmin est ainsi endormi (-/-) ? Les souris femelles se désintéressent de leur portée et deviennent incapables de choisir un endroit approprié pour construire un nid. Mais ces mauvaises mères sont aussi de bonnes filles : désinhibées, elles multiplient les contacts sociaux entre adultes. Le travail confirme donc que le comportement parental et social est sous la dépendance du fonctionnement du noyau basolatéral de l’amygdale, dont les altérations par lésion, les variations innées dues au polymorphisme génétique ou les variations acquises dues aux expériences de l’individu sont susceptibles d’avoir des effets phénotypiques observables.

Ces travaux sur la souris, comme ceux sur la mouche dont on parlait ici récemment, permettent le valider progressivement le schéma fonctionnaliste et modulariste dans l’analyse de l’esprit. Le fonctionnalisme signifie que les états mentaux sont analysés par les séries de causes et effets qui les caractérisent et auxquelles on peut attribuer un rôle dans la (sur)vie de l’organisme, rôle généralement façonné par l’évolution adaptative. La modularité signifie que les cerveaux sont formés de noyaux et réseaux (modules) spécialisés dans le traitement de certaines informations, la connexion de ces modules accomplissant la fonction.

Comme les mouches, les souris et les humains partagent énormément de choses, à commencer par des gènes et des neurones, il n’y a pas de raison de penser que les cerveaux dont nous sommes si fiers diffèrent fondamentalement dans leurs mécanismes perceptifs et cognitifs. Même si bien sûr Homo sapiens et les primates en général ont développé d’autres fonctions et d’autres modules dans l’histoire de la vie.

Référence :
Martel G. et al. (2008), Stathmin reveals dissociable roles of the basolateral amygdala in parental and social behaviors, PNAS, online pub, doi: 10.1073/pnas.0807507105

lundi 15 septembre 2008

Neuro-anatomie de la mouche désirante

La drosophile, vieille amie ailée des laborantins, vient de dévoiler un nouveau pan du comportement animal. Les mouches mâles montrent des comportements stéréotypés quand elles courtisent les femelles, en les poursuivant avec un battement d’ailes caractéristique ayant pour effet de vaincre les réticences des belles et de les disposer à l’accouplement plutôt qu’à l’éloignement. Dans une étude publiée dans Neuron, Ken-ichi Kimura et ses collègues exposent les bases neuro-anatomiques de cette attitude masculine. Les chercheurs se sont penchés sur un groupe spécifique de neurones dans le cerveau dorsal postérieur, exprimant le gène fru (impliqué dans la différenciation sexuelle). Ils ont montré que cette famille de 20 neurones, appelée P1, est connectée vers le protocérébron bilatéral et commande directement le comportement amoureux du mâle. Au cours du développement, la protéine Fru s’exprime chez les mâles et permet le positionnement correct des projections des neurones P1 ; chez les femelles, un autre gène (DsxF) inhibe cette formation neurale. Ce type d’étude permet de voir sur les modèles animaux simples comment la diversité génétique produit la diversité comportementale à travers les modifications structurelles et fonctionnelles du système nerveux. Le génome de la drosophile contient 13 600 gènes environ (moitié moins que le génome humain) dont bon nombre sont homologues avec ceux de notre espèce.

dimanche 14 septembre 2008

Odeurs immunitaires et choix des partenaires

Le choix des partenaires reproductifs est-il alétaoire ou obéit-il à des règles discrètes et inconscientes chez les sujets ? L’un des domaines étudiés de longue date chez l’homme et l’animal concerne le complexe majeur d’histocompatibilité (CMH, chez l’homme HLA pour Human Leukocyte Antigen). Cet ensemble de gènes définit la « reconnaissance de soi » du point de vue immunitaire, c’est-à-dire la capacité d’un organisme à différencier ses propres cellules de cellules étrangères (comme des bactéries par exemple). On a observé chez des rongeurs, des oiseaux et des reptiles que les appariements ne se font pas tout à fait au hasard concernant le CMH de chaque partenaire : il existe un biais en faveur d’un CMH dissemblable, c’est-à-dire présentant moins d’allèles en commun. Cela fait sens du point de vue de l’évolution : plus un descendant reçoit de gènes différents dans son CMH, plus son système immunitaire sera efficace pour se protéger des pathogènes (en produisant une plus grande variété d’antigènes).

Les études sur l’homme ont été menées en ce sens, soit en comparant directement certains marqueurs HLA, soit en étudiant les préférences pour les odeurs corporelles. Cette odeur émise par les organismes est en effet sous la dépendance des gènes du système immunitaire. A ce jour, les résultats ont été contradictoires. Des études de la communauté huttérite (aux États-Unis) ont montré une tendance à choisir des partenaires éloignés de son système immunitaire, comme chez les animaux. Mais une autre étude sur des tribus amérindiennes n’a pas retrouvé ce trait. Les analyses de préférence sexuelle par odeur corporelle ont également montré des résultats inégaux : il existe des préférences marquées, mais elles ne correspondent pas toujours à la proximité ou la non-proximité génétique HLA.

Deux chercheurs anglais et une française (Université d’Oxford, Musée de l’Homme) viennent de se repencher sur la question. Ils ont étudié 30 couples américains d’origine européenne (communauté des Mormons) et 30 couples africains (ethnie Yoruba). Les biologistes ont bénéficié des progrès du séquençage génétique et, à partir des bases de données HamMap II, ils ont pu prendre en compte 9.010 variations simples (SNP) du système HLA, en effectuant par ailleurs un contrôle sur plus de 3.200.000 SNPs du génome (hors HLA). Il en résulte que les couples d’origine européenne se sont formés de manière non aléatoire, sur la base d’une distance génétique de leur système immunitaire. On ne retrouve en revanche pas de biais particulier sur le génome entier. À l’inverse, les couples africains ne montrent aucune tendance particulière concernant le HLA et leur formation ne diffère pas d’un choix au hasard. Mais les SNPs du génome entier sont plus proches en revanche. La raison pourrait en être que les populations africaines présentent naturellement une plus grande diversité génétique du système immunitaire, sans doute du fait d’une différenciation plus précoce dans l’hominisation et d’un fardeau pathogène et parasitaire plus important dans leur milieu de vie. La pression sélective pour un HLA distant serait moins forte. Inversement, les mariages sont encore arrangés par lignées paternelles et échanges matrimoniaux influant sans doute les corrélations observées à l’échelle du génome entier, hors HLA.

Il est possible que les histocompatibilités HLA prédisent sur la future résistance immunitaire de l’enfant, mais aussi la fertilité des couples (sélection des spermatozoïdes par l’ovocyte lors de la fécondation). Quand la génomique personnelle sera démocratisée, on disposera de données bien plus importantes pour analyser ces phénomènes. Et de moyens plus efficaces que l’odeur corporelle pour envisager les tenants et aboutissants de la procréation…

Référence :
Chaix R. et al. (2008), Is mate choice in Humans MHC-dependent?, PLoS Genet, 4, 9, e1000184, doi:10.1371/journal.pgen.1000184

vendredi 12 septembre 2008

Un mec au poil : pilosité et attractivité

La pilosité corporelle et surtout faciale fait partie des caractères sexuels secondaires de notre espèce. Les hommes parfaitement glabres et les femmes à barbe sont assez rares, comme chacun l’aura noté. La pilosité faciale ne semble pas présenter d’avantage adaptatif particulier pour les hommes en terme de survie. Mais elle est un signe de maturité hormonale et l’on peut supposer qu’elle a servi de signal pour la sélection sexuelle. Jusqu’à présent, les études ont comparé les hommes glabres et les hommes barbus, avec des résultats très inégaux : la présence d’une barbe a pu être associée à des traits plus ou moins désirables (plus âgé, plus agressif, plus extraverti, plus fort, plus confiant, plus dominant). Les préférences féminines semblent varier selon les études, les cultures, mais aussi les moyens de contraception et périodes de leur cycle (les visages plus masculins sont plus appréciés en période ovulatoire, par exemple). Les psychologues Nick Neave et Kerry Shields ont toutefois relevé que ces études antérieures opposaient souvent le glabre au barbu, sans nuances intermédiaires. Pour y remédier, ils ont pris 15 faces masculines et, par un logiciel de morphing, les ont dotées de cinq niveaux de pilosité : glabre, mal rasé léger, mal rasé franc, barbe légère, barbe franche. 60 femmes de 18 à 44 ans (âge moyen 21,7) ont ensuite jugé ces visages. Une barbe franche produit l’impression d’un individu plus âgé, masculin, agressif et mature socialement. La barbe légère emporte la palme de la dominance. Mais concernant l’attractivité sexuelle, et le désir de liaison à court comme à moyen termes, le phénotype à succès est l’individu légèrement mal rasé.

Référence :
Neave N., K. Shields, The effects of facial hair manipulation on female perceptions of attractiveness, masculinity, and dominance in male faces, Personality and Individual Differences, 45, 5, 373-377, doi:10.1016/j.paid.2008.05.007

(Merci à Nick Neave de m’avoir envoyé son papier).

mardi 9 septembre 2008

L’intelligence sexuelle

L’intelligence est un trait beaucoup étudié en psychologie. Il en existe de nombreux modèles, mais celui qui a donné lieu à la plus abondante littérature concerne la capacité cognitive générale ou facteur g (parfois g tout simplement). Sa définition a été donnée voici plus d’un siècle par Charles Spearman : g désigne le facteur commun de variance des capacités cognitives spécifiques. En tant que tel, le facteur g est une construction statistique de la psychométrie : on mesure par des tests standardisés les variations des capacités cognitives spécifiques (elles-mêmes décomposées en aptitudes primaires) comme la mémoire, la capacité verbale, la capacité visuospatiale, le traitement logique ; on extrait ensuite le facteur commun de variance de ces capacités spécifiques. Ce facteur g explique, basiquement, que les individus réussissant dans un domaine cognitif donné ont tendance à réussir dans les autres (corrélation positive aux sous-tests). Et inversement dans l’échec. Le quotient intellectuel des tests internationaux comme le Weschler ou les Matrices de Raven est une mesure (approximative) de g. Un individu peut être très fort dans un domaine cognitif mais moyen dans les autres. Le facteur g se contente de mesurer qu’à l’échelle d’une population, on observe toujours une covariance des aptitudes intellectuelles, ce qui laisse supposer l’existence d’une cause commune.

Mais l’intelligence psychométrique n’est pas la seule à intéresser la science. Dans le sillage l’émergence des neurosciences cognitives et le renouveau de la théorie de l’évolution, observés depuis les années 1960, les chercheurs se sont intéressés aux traits particuliers de l’intelligence humaine. On a vu ainsi se développer d’innombrables travaux sur l’intelligence émotionnelle (neurosciences affectives) et l’intelligence sociale (neurosciences sociales). Elles ne se laissent pas mesurer aussi facilement que le facteur g, correspondent en partie à des traits de personnalité (les Big Five), et caractérisent Homo sapiens par rapport à ses cousins primates, a fortiori ses petits-cousins plus éloignés sur l’arbre phylogénétique. L’intelligence émotionnelle désigne la capacité humaine à exprimer et reconnaître une vaste de gamme de sentiments, outre les émotions primaires et universelles. L’intelligence sociale (dite aussi machiavélienne ou théorie de l’esprit) s’intéresse à nos aptitudes à décrypter les états mentaux des autres et à agir en fonction d’eux dans le cadre de la vie sociale.

L’ouvrage collectif publié sous la direction de Glenn Geher et Geoffrey Miller propose un nouveau champ de recherche : l’intelligence sexuelle (mating intelligence). Cette traduction n’est pas tout à fait exacte, puisque l’anglais mate, s’il désigne l’accouplement, inclut tout ce qui précède, accompagne et suit cette copulation. Comme le précisent Miller et Geher dans leur préface, « nous entendons par intelligence sexuelle le système reproductif de l’esprit : le réseau complet des capacités psychologiques pour la cour sexuelle, la compétition et la rivalité ; pour la formation des relations, l’engagement, la coordination et la rupture ; pour le flirt, les préliminaires et la copulation ; pour la recherche du partenaire, le choix du partenaire, la conservation ou le changement du partenaire ; et pour bien d’autres aptitudes comportementales qui produisent principalement des avantages reproductifs (plutôt que de survie) ». L’intelligence sexuelle ne sera pas un facteur s comparable au facteur g : cela désigne plutôt une collection de dizaines ou de centaines de micro-adaptations de l’esprit humain, d’apprentissages ou de tactiques ad hoc dont le point commun est qu’elles influent sur la stratégie et la fortune reproductives des individus, dans leurs relations aux partenaires potentiels. Il importe donc de comprendre que, comme les intelligences sociale et émotionnelle avec lesquelles elle partage sans doute des facteurs communs, l’intelligence sexuelle est avant tout un champ de recherche, une construction épistémologique permettant d’ordonner un grand nombre d’observations disjointes et de modéliser plus précisément le comportement humain.

Pour de probables raisons culturelles, le sexe n’est pas un domaine que les chercheurs ont volontiers rapporté à l’intelligence depuis un siècle. Ni même qu’ils ont beaucoup étudié dans un premier temps. Darwin, à l’âge la prude Angleterre victorienne, avait bien mis en évidence l’importance de la sélection sexuelle, à côté de la sélection naturelle. Mais il faudra attendre les années 1970 pour que cette sélection sexuelle se trouve vraiment prise en considération, et abondamment étudiée dans le règne animal, ainsi que dans l’espèce humaine. Si l’on se représente négativement le sexe comme une pulsion primitive plus ou moins « grossière » et « animale », il est évidemment difficile de l’associer à des facultés cognitives plus élevées. Mais justement, le sexe est une chose bien plus complexe que le moment de la copulation : l’accès et la préservation du partenaire donnent lieu à d’incessants conflits mâles-mâles et femelles-femelles, ainsi qu’à divers compromis mâles-femelles qui vont influencer de manière notable le comportement des individus et des populations. C’est vrai chez les animaux non-humains, et plus encore chez l’espèce humaine qui se caractérise par une complexification considérable de ces questions : tout le monde aura remarqué que les femelles humaines ne se promènent pas nues dans la rue avec une vulve rouge signalant leurs chaleurs, que les mâles humains ne se tapent pas dessus pour savoir lequel d’entre eux pourra copuler avec les femelles ainsi exposées (quoique les mâles en viennent encore facilement aux mains pour ce genre de question…).

Si, comme le souligne Maureen O’Sullivan, l’intelligence sexuelle peut paraître un oxymore associant les passions brûlantes à la froide rationalité, c’est que l’on oublie combien l’intelligence est avant tout une capacité générale d’adaptation au milieu social, culturel, technique ou sexuel, impliquant l’identification et la manipulation des informations pertinentes. On peut ainsi faire l’hypothèse que des traits bioculturels aussi divers que le chant, la musique, la danse, l’art pictural, l’humour, les techniques de décoration du corps, le langage lui-même ont en partie évolué chez l’homme dans la perspective de la sélection sexuelle, c’est-à-dire de la séduction et de la préservation de son ou ses partenaires. Et d’innombrables travaux ont montré que le cerveau humain est aussi sensible, le plus souvent de manière inconsciente et non « stratégique », à divers facteurs biosychologiques discrets de choix du partenaire à court ou long terme (symétries faciales et corporelles, masculinité ou féminité des traits, ratio taille-hanche et hanche-épaule, fréquences vocales, odeurs corporelles, phéromones, phases ovulatoires, indices de proximité génétique, etc.). Le sexe occupe donc une place importante dans notre cerveau. Et la capacité à développer des stratégies sexuelles efficaces représente une pression cognitive parmi d’autres dans l’hominisation.

Des travaux jusqu’à présent épars se sont penchés sur cette question de l’intelligence sexuelle ou de l’intelligence rapportée à la sexualité. On a par exemple montré que l’intelligence générale (facteur g) est un trait valorisé (surtout par les femmes) dans le choix du partenaire à long terme, qu’elle donne lieu à un appariement assorti tendanciel (assortative mating, choix du conjoint à long terme dans sa classe cognitive) ou à des préférences affichées en matière de dons de gamètes. On s’est aussi penché sur divers troubles de l’esprit ayant une influence sur les comportements sexuels : outre les paraphilies et les violences, les personnalités borderline (choix instable du partenaire), narcissiques et histrioniques (stratégie de partenaires multiples à court terme), antisociales ou psychopathes (coercition, tromperie), les autistes et Asperger (difficultés à entretenir une relation sociale,a fortiori sentimentale ou sexuelle), les anorexiques (évaluation pathologique de traits corporels supposés désirables par le partenaire potentiel) sont des exemples de troubles dont on peut faire une lecture sexuelle, quand on réfléchit à leur émergence et leur persistance dans l’évolution. Mais précisément, tous ces travaux comme ceux sur les traits de personnalité non pathologiques ne sont pas pour le moment publiés ou pensés dans la perspective intégrative d’une intelligence sexuelle.

Les quinze contributions de cet ouvrage collectif visent donc à produire de cadre intégratif, dessinant cinq directions : les mécanismes émotifs et cognitifs impliqués dans la sexualité, les stratégies de l’intelligence sexuelle rapportée aux buts des relations (court, long termes), à l’existence des enfants et aux personnalités des partenaires, les causes génétiques et neurologiques des différences individuelles en ce domaine, les indicateurs de fitness mentale (créativité, humour, intelligence émotionnelle) guidant les choix des partenaires, les contextes sociaux et écologiques de la sexualité humaine. On notera qu’il n’y a pas nécessairement convergence des hypothèses ou conjecture visant à appréhender cette intelligence sexuelle. Là où Geoffrey Miller la voit comme liée au facteur g et associée à des aptitudes mentales très diverses favorisant la séduction, Satoshi Kanazawa ou Jeremy Murphy présume plutôt des adaptations cognitives indépendantes de l’intelligence générale et ayant évolué au cours de l’hominisation, dans le cadre paléolithique.

Depuis Freud, la science avait laissé à la psychanalyse une sorte de monopole par défaut sur l’exploration du rôle de la sexualité dans la construction de l’esprit humain. Que les sciences de l’évolution, de la cognition et du comportement s’emparent enfin de la question pour en révéler toutes les dimensions est une bonne nouvelle.

Référence :
Geher G., G. Miller (2008), Mating Intelligence. Sex, Relationships, and the Mind’s Reproductive System, Lawrence Erlbaum, New York, Oxon, 451 p.

samedi 6 septembre 2008

Sexe, mort et obscénités

Dans sa chronique, la médiatrice du Monde note qu’un récent dessin « grivois » de Plantu en une du journal ne choque pas les lecteurs, malgré les appréhensions de la rédaction. Mais qu’il n’en va pas de même (en proportion des messages reçus et de leur contenu indigné) pour les images de violence (pour la sortie du film de Barbet Schroeder, Inju, la bête dans l'ombre dans les pages Culture ; et photographies de victimes décapitées de narcotrafiquants au Mexique dans les pages International). On s’est pareillement ému de la publication dans Paris-Match de photographies des Talibans ayant tendu une embuscade et abattu des soldats français – bien que le journal se soit gardé de publier les photos des soldats morts. Ces polémiques ou ces craintes sur les images de sexe et de violence ne lassent de me surprendre, comme si le cerveau humain ne pouvait plus regarder ce qui rythme la vie depuis quelques centaines de millions d’années, et l’histoire humaine depuis quelques milliers d’années. Le sexe et la mort seraient (au choix) « intimes », « sales », « dangereux » et finalement « obscènes » lorsqu’ils s’exposent. Je dois être mal câblé, je trouve cela bien moins obscène que les niaiseries, idioties et inepties s’exposant à haut débit dans nos médias.

jeudi 4 septembre 2008

Sexe et catégories sémantiques

La littérature scientifique observe que les hommes et les femmes diffèrent dans la richesse de leur vocabulaire, les hommes étant en moyenne plus prolixes dans les catégories des objets et les femmes dans les catégories des êtres vivants. Dans le dernier numéro de Cortex, Riccardo Barbarotto et ses collègues rapportent une analyse effectuée sur 202 enfants âgés de 3 à 5 ans. 60 stimuli appartenant à diverses catégories sémantiques leur étaient proposés. La seule différence a résidé dans une acquisition plus précoce chez les garçons des mots d’outils et de véhicules, les deux sexes montrant la même disposition pour les animaux et les plantes. Cela suggère que l’orientation objet du vocabulaire masculin apparaît tôt dans l’existence, l’orientation vivant du vocabulaire féminin émergeant plus tard.

mercredi 3 septembre 2008

Le cri du daim, le soir, au fond des bois

Le daim (Dama dama) vit en solitaire, sauf lors de la période de rut où il cherche la daine. C’est à cette occasion qu’il brame, jusqu’à 90 fois par minute. Dans PLoS ONE, Elisabetta Vannoni et Alan G. McElligott viennent de montrer que la structure acoustique de ces brames (fréquences fondamentales, formants, dispersion des formants) donne des informations exactes sur les qualités reproductives des mâles (taille du corps, rang de dominance, succès reproductif). Et surtout, ne croyez pas que l’humain est si éloigné du daim : un travail de Puts et al. paru l’an dernier avait montré que nous évaluons nous aussi la dominance physique et sociale des mâles selon la gravité de leur voix.

mardi 2 septembre 2008

RS3 334 : fidèle ou frivole ?

Quand 23andMe aura atteint la popularité de FaceBook ou de Meetic, nos gènes révéleront toute leur diversité. Et la variante RS3 334 pourrait bien connaître alors une certaine popularité dans la pratique du dating.

Hasse Walum et ses collègues du Karolininka Institute (Suède) ont analysé les variantes d’un gène (AVPR1A) codant pour le récepteur de la vasopressine chez 552 Suédois hétérosexuels vivant en couple depuis au moins 5 ans. Les hommes peuvent posséder aucune, une ou deux copies d’un segment (RS3 334). Or, cette délétion ou répétition semble statistiquement liée à la qualité des relations amoureuses de leurs porteurs. Les hommes possédant deux copies de RS3 334 ont une moindre probabilité d’être marié et, s’ils sont mariés, une probabilité deux fois plus forte de connaître des crises de ménage (34% vs 15%). Inversement, les femmes mariées à des hommes possédant une ou deux copies sur l’allèle s’estiment mieux satisfaites de leur vie en couple que les autres. RS3 334 contribuerait donc à faire des hommes des partenaires plus ou moins fiables pour des liaisons plus ou moins durables.

La vasopressine possède de nombreux effets, notamment sur les systèmes cardiaques et urinaires, mais semble également associée à diverses fonctions nerveuses. Le gène AVPR1A n’a pas été observé au hasard. Chez le campagnol des prairies (Microtus ochrogaster), on a montré que le récepteur de la vasopresine est étroitement associé à la monogamie et à la socialité. En faisant varier le niveau de vasopressine chez le campagnol des prairies, on rend ainsi l’animal plus ou moins sociable et volage. D’autres travaux, chez l’homme, ont montré que la variante RS3 334 s’exprime dans l’amygdale et est impliquée dans la confiance. Certains autistes semblent également porteurs d’un nombre anormal de répétition.

Référence :
Walum H. et al. (2008), Genetic variation in the vasopressin receptor 1a gene (AVPR1A) associates with pair-bonding behavior in humans, PNAS, à paraître en prépub., doi :10.1073pnas.0803081105

lundi 1 septembre 2008

Prière de toucher

Les êtres humains se serrent la main, s’embrassent, se prennent le bras, se mettent la main sur l’épaule. Bref, ils se touchent, bien sûr entre familiers, mais parfois entre inconnus. Dans un classique (La dimension cachée), Edward T. Halla avait montré que tous les individus et toutes les cultures n’ont pas le même rapport au contact interpersonnel et au territoire d'intimité de chacun. Mais il s’agit néanmoins d’un trait répandu. Vera B. Morthen et ses collègues ont fait l’hypothèse que le toucher pourrait servir à renforcer l’altruisme, ou y inciter. 96 étudiants des deux sexes ont été divisés en trois groupes : deux recevaient un massage professionnel, le troisième non ; le premier et le troisième ont ensuite joué à un jeu de confiance (le donateur accorde une certaine somme d’argent à un bénéficiaire ; cette somme est triplée et le bénéficiaire en restitue au donataire une proportion de son choix). Les participants subissaient aussi une prise de sang après le massage. Résultat : le niveau sanguin d’ocytocine des joueurs massés a connu une élévation au cours de la situation de jeu, mais pas celui des massés non-joueurs ni des joueurs non-massés. L’ocytocine est une hormone hypothalamo-hypophysaire connue pour produire des comportements de confiance et d’attachement, ainsi qu’une baisse de l’agressivité ou de la fuite (elle est antagoniste de la vasopressine de ce point de vue). Les joueurs massés se sont montrés fort généreux, avec des dons 243 % supérieurs à ceux des autres en moyenne. Cette observation fait sens d’un point de vue évolutionnaire : on sait par exemple que les chimpanzés apaisent leurs querelles en se livrant à des séances d’épouillages mutuels, la stratégie du contact étouffant celle du conflit. Que les humains en soient encore à se toucher pour se faire confiance peut certes paraître un reliquat désuet de notre passé primate. Mais c’est aussi cela, l’Homo sapiens…

jeudi 28 août 2008

Corrélats neuraux du désir

Hideaki Kawabata et Semir Zeki ont demandé à 18 sujets japonais, dont neuf femmes, âgés de 20 à 48 ans, de regarder 432 images dans trois catégories (personnes, objets, événements). Les sujets devaient classer ces images sur une échelle de désirabilité de 1 à 10 (1 à 4 indésirable, 5 et 6 indifférent, 6 à 10 désirable). Dans le même temps, on observait leur cerveau en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle. Il en ressort que la variation entre désirable et indésirable active essentiellement le cortex orbito-frontal, celle entre désirable et indifférent les cortex cingulaire médian et cingulaire antérieur. Outre ces activations neurales communes, chaque type de stimulus éveillait d’autres zones spécifiques (noyau accumbens, striatum, hypothalamus, etc.). Et des aires différentes et spécialisées du cortex visuel analysaient chaque type d’images. Le cortex cingulaire et le cortex orbito-frontal apparaissent donc comme deux zones de tri parmi les stimuli perçus, selon qu’ils éveillent ou non le désir de l’individu. L’étude peut être lue ici (PloS One).