lundi 31 décembre 2007

L'influence du cycle menstruel sur le cerveau féminin


Quelle influence joue la variation du taux d'œstrogène sur l'activation du cerveau féminin? A l'aide de l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, Jean-Claude Dreher, chercheur au Centre de neuroscience cognitive (CNRS/Université Lyon 1), en collaboration avec une équipe américaine du National Institute of Mental Health (Bethesda, Maryland) dirigée par Karen Berman, est parvenu à caractériser, pour la première fois, les réseaux cérébraux impliqués dans le traitement de récompenses monétaires qui sont modulés par les hormones stéroïdes gonadiques chez la femme. Publié en ligne le 31 janvier 2007 sur le site de la revue PNAS, ce résultat marque un pas important pour une meilleure compréhension de certaines pathologies psychiatriques et neurologiques.


Le cerveau humain est muni d'un système de récompense, impliqué dans la prédiction de récompenses de différente nature (nourriture, argent, drogues…). Le fonctionnement normal de ce système joue un rôle fondamental dans de nombreux processus cognitifs tels que la motivation et l'apprentissage. Ce système de récompense, composé des neurones dopaminergiques (1) situés dans le mésencéphale (région très profonde du cerveau) et de leurs sites de projection (2), est crucial pour le codage neuronal  des récompenses. Son dysfonctionnement peut produire des troubles comme les addictions et est également impliqué dans différentes pathologies neurologiques et psychiatriques, tels la maladie de Parkinson et les troubles schizophréniques. De très nombreuses études effectuées chez l'animal prouvent que le système dopaminergique (3) est sensible aux hormones stéroïdes gonadiques (œstrogène, progestérone). Un exemple : les rats femelles s'auto-administrent de la cocaïne (drogue qui agit sur le système dopaminergique) à des taux plus importants après administration d'œstrogènes.

Restait donc à explorer, chez l'être humain, l'influence des hormones stéroïdes gonadiques sur l'activation du système de récompense. Mieux connaître cette influence permet de comprendre les différences entre hommes et femmes, observées notamment dans la prévalence de certaines pathologies psychiatriques et dans la vulnérabilité aux drogues (pour lesquelles le système dopaminergique joue un rôle important). On sait par exemple que la réponse des femmes à la cocaïne est plus importante dans la phase folliculaire du cycle menstruel (4) que dans la phase lutéale (5). Par ailleurs, la schizophrénie se déclare plus tardivement chez les femmes que chez les hommes. Ces deux observations montrent que les neurostéroïdes gonadiques (6) modulent le système dopaminergique chez la femme, mais laissent ouverte la question de la modulation du réseau neuronal du système de récompense par ces mêmes hormones.

Pour répondre à cette question, les chercheurs ont mis au point une expérience utilisant l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) : l'activité cérébrale d'un groupe de femmes est examinée deux fois au cours de leur cycle menstruel. À chaque passage dans l'IRM, des machines à sous virtuelles, présentant des probabilités de gains différents, leur sont présentées. Lorsque les femmes anticipent des récompenses incertaines, elles activent davantage des régions cérébrales impliquées dans le traitement des émotions, notamment l'amygdale et le cortex orbitofrontal, au cours de la phase folliculaire (4 à 8 jours après le début des règles) qu'au cours de la phase lutéale (6 à10 jours après le pic de l'hormone LH (7)). Ces résultats démontrent une réactivité accrue du système de récompense féminin lors de la phase folliculaire, c'est d'ailleurs la phase où les œstrogènes ne s'opposent pas à la progestérone. Afin de déterminer les différences d'activation du système de récompense entre les deux sexes, la même expérience a été menée chez un groupe masculin. Résultat : lors de l'anticipation de récompenses, les hommes activent essentiellement une région impliquée dans la motivation pour l'obtention de récompenses, le striatum ventral, tandis que chez les femmes, c'est une région traitant les émotions, la région amygdalo-hippocampique, qui est la plus fortement activée.

Ces conclusions pourraient s'appliquer à des domaines autres que monétaires. Prenons l'exemple de la réceptivité et du désir, deux qualités qui sont supposées faciliter la procréation et peuvent apparaître pendant la période ovulatoire. On peut envisager que l'augmentation d'activité de certaines régions du cerveau féminin pendant la phase folliculaire, modulerait les comportements liés à l'obtention de récompenses, tels le comportement d'approche lors de l'anticipation de récompense et le comportement hédonique au moment de sa réception.

À la frontière entre neuroendocrinologie et neurosciences cognitives, ces résultats permettent de mieux comprendre le rôle fondamental des hormones stéroïdes gonadiques sur le traitement de la récompense, plus particulièrement dans les processus comportementaux comme la motivation et l'apprentissage. Ils présentent également un intérêt majeur quant à la compréhension du dysfonctionnement du système de récompense observé notamment dans les cas de maladie de Parkinson, de schizophrénie, de vieillissement normal et d'addictions aux drogues et aux jeux d'argent.

Notes :
(1) La dopamine est un neurotransmetteur, plus précisément une molécule qui module l'activité des neurones dans le cerveau. Les neurones dopaminergiques utilisent la dopamine comme neurotransmetteur/neuromodulateur.
(2) Structures incluant le striatum ventral, le cortex cingulaire antérieur, et le cortex orbitofrontal.
(3) Système dopaminergique : ensemble de structures cérébrales innervées par les neurones dopaminergiques.
(4) Phase folliculaire : première partie du cycle menstruel à partir du premier jour des règles.
(5) Phase lutéale : deuxième partie du cycle qui commence après l'ovulation et se termine à l'arrivée des règles.
(6) Neurostéroïdes gonadiques : hormones stéroïdes produites par les gonades (ovaires ou testicules) qui interagissent avec les récepteurs des œstrogènes, de la progestérone ou des androgènes. Les œstrogènes et la progestérone ne sont pas que des hormones sexuelles influençant l'ovulation et le la reproduction, elles affectent également un grand nombre de fonctions cognitives et affectives.
(7) L'hormone lutéinisante (LH) est une hormone produite par l'hypophyse. Son rôle essentiel est de déclencher l'ovulation qui survient entre 36 et 48 heures après le pic de LH.

Référence : Menstrual cycle phase modulates reward-related neural function in women (2007). J-C Dreher, P.J. Schmidt, P. Kohn, D. Furman, D. Rubinow, K.F. Berman. Proceedings of the National Academy of Sciences USA, on-line publication January 31, 2007.

Source : communiqué presse CNRS

lundi 24 décembre 2007

Pourquoi les chromosomes X doivent savoir compter jusqu'à deux ?

Chez les mammifères, l'existence de chromosomes sexuels de taille différente aurait pu être à l'origine d'une injustice génétique. Le chromosome Y qui caractérise les mâles est de petite taille et contient beaucoup moins de gènes que le chromosome X. Pour éviter une inégalité génétique, les femelles mammifères inactivent un de leur deux chromosomes sexuels au cours de l'embryogenèse. Mais comment se déroule cette extinction, qui ne doit avoir lieu que chez les femelles et au cours de laquelle la cellule doit choisir entre le chromosome X hérité du père et celui hérité de la mère ?


A l'Institut Curie, l'équipe CNRS d'Edith Heard (1)vient de découvrir que, dans un premier temps, une région chromosomique particulière, Xpr, met en contact les chromosomes X et s'assure de leur nombre : s'il y a plus d'un chromosome X, l'un des deux peut être inactivé. Xpr est ainsi le rouage principal de cette étape de vérification, essentielle pour éviter des extinctions intempestives aux conséquences néfastes. Ces résultats sont publiés dans la revue Science du 7 décembre 2007.

Quelle est la différence entre les hommes et les femmes ? Une question qui reste en suspens. Quoi qu’il en soit, le système de détermination sexuelle de la majorité des mammifères est relativement simple : deux chromosomes, les chromosomes sexuels, sont responsables de cette différence. Les mâles ont un chromosome X et un chromosome Y, alors que les femelles ont deux chromosomes X. Et là, il devient évident que les mâles, avec leur chromosome Y beaucoup plus petit que l’X, ont été lésés.

Mais la nature dans sa grande générosité rétablit la parité génétique puisque, chez les femelles, un des chromosomes X est inactivé très tôt au cours du développement de l’embryon. Ce processus entraîne l’extinction de la transcription de la quasi-totalité des 2 000 gènes portés par l’un des deux chromosomes X. Cette volonté d’égalité place la cellule devant un choix cornélien : lequel des deux chromosomes éteindre, sachant que l’un est hérité de la mère et l’autre du père ? Encore une fois l’égalité est de mise puisque, chez les femelles, l'inactivation du X se fait au hasard et aboutit à une mosaïque de populations cellulaires dont certaines expriment l’X maternel et d'autres l’X paternel.

L’équipe CNRS « Epigenèse et développement des mammifères » que dirige Edith Heard à l’Institut Curie étudie ce processus d'inactivation du chromosome X, au cours de l'embryogenèse chez les mammifères femelles, un modèle de choix pour l'étude des changements d'expression des gènes et de l'organisation du noyau lors de la différenciation cellulaire.

Concrètement, chaque chromosome X possède un centre d’inactivation, Xic, chargé de son « extinction » potentielle et ce, grâce à la production d’un ARN non codant, Xist. Mais avant d’initier l’inactivation, la cellule doit d’abord s’assurer qu’elle contient plusieurs chromosomes X, notamment afin d’éviter l’inactivation de l’unique X chez les mâles. Les chercheurs CNRS de l’Institut Curie viennent de montrer comment une des régions du centre d’inactivation, Xpr, gère cette vérification. Dans les cellules embryonnaires femelles étudiées, peu avant la mise en place de l’inactivation, les deux régions Xpr issues du X paternel et maternel, se rencontrent transitoirement dans le noyau. Cette rencontre permet, d’une part à la cellule de détecter la présence de ses deux chromosomes X, mais également à ces derniers, de se prévenir mutuellement de leur présence afin de choisir lequel des deux sera inactivé. L'ARN Xist peut alors s’accumuler sur le chromosome X choisi, et induire son extinction.
Lorsque la région Xpr est introduite dans des lignées cellulaires mâles, les chercheurs constatent d’ailleurs que le seul chromosome X présent est inactivé, ce qui conduit à la mort des cellules. Tout se passe comme si la région Xpr surnuméraire était détectée par la cellule comme un deuxième chromosome X et induisait de ce fait l’inactivation du seul X réellement présent.

Cette rencontre transitoire des Xics est essentielle à l’aspect aléatoire de l’inactivation du X. Ce type d’interaction entre deux locus pourrait en outre représenter un mécanisme général de recensement pour l’ensemble des gènes ne devant être exprimé qu’en une seule copie, soit de manière monoallélique, et choisie de façon aléatoire entre celle d’origine paternelle et maternelle. Ces gènes qu’on pensait peu nombreux représentent en fait 10 % des gènes humains, comme l’a montré une récente étude (2). Ce résultat pourrait avoir des implications importantes en santé publique, car une mutation dans un allèle – une des deux versions du gène présente dans la cellule – peut avoir de graves conséquences si l'autre allèle est déjà éteint.

«La mise en place de ce profil monoallélique aléatoire pourrait reposer sur des mécanismes proches de ceux de l’inactivation du chromosome X» précise Edith Heard. Forts de ce nouveau constat, les chercheurs étudient désormais les liens possibles entre ces deux phénomènes.

Par ailleurs, l’inactivation du chromosome X est un modèle à l’étude de la différenciation cellulaire, mécanisme par lequel la cellule se spécialise. Or, les cellules tumorales suivent un cheminement inverse ; elles oublient les fonctions pour lesquelles elles avaient été programmées. Mieux comprendre le mécanisme d’inactivation du chromosome X peut certainement éclairer sur les dysfonctionnements des cellules tumorales.

Référence :
Sensing X Chromosome Pairs Before X Inactivation via a Novel X-Pairing Region of the Xic, S. Augui, G. Filion, S. Huart, E. Nora, M. Guggiari, M. Maresca, A. F. Stewart, E. Heard, Science, 7 décembre 2007, vol. 318, p. 1632-1636.

Source : communiqué presse du CNRS