samedi 20 décembre 2003

Vasopressine et fidélité

Tom Insel et Larry Young, de l’Université Emory (Atlanta, Géorgie), ont créé quatre lignées de souris transgéniques en les dotant d’un gène du campagnol des prairies.Ce petit rongeur nord-américain est connu pour son comportement monogame et sociable. Les souris modifiées ont à leur tour adopté le comportement du campagnol, alors qu’elles ne montrent naturellement aucune prédisposition à la fidélité. La vasopressine, hormone produite par l’hypophyse (une glande à la base du cerveau), joue un rôle dans les comportements d’agression, de communication et de reproduction. « Même si de nombreux gènes sont susceptibles d’être impliqués dans l’évolution des comportements sociaux complexes, nos données indiquent que le changement de l’expression d’un seul gène peut avoir un impact sur l’expression, au moins pour partie, de ces comportements », soulignent les chercheurs. L’hypophyse humaine sécrète elle aussi de la vasopressine…

vendredi 12 décembre 2003

Comment les femelles « font taire » de manière réversible un de leurs deux chromosomes sexuels ?

Chez les mammifères, l'existence de chromosomes sexuels de taille différente aurait pu être à l'origine d'une injustice génétique. Le chromosome Y qui caractérise les mâles est de petite taille et contient beaucoup moins de gènes que le chromosome X. Mais un processus ayant lieu très tôt au cours de l'embryogenèse chez les femelles – l'inactivation de l'X – permet de rétablir la parité génétique.


A l'Institut Curie, des chercheurs du CNRS viennent de découvrir chez l'embryon de souris que ce mécanisme est extrêmement dynamique. En l'espace de quelques divisions cellulaires, le chromosome X paternel est inactivé, puis réactivé et ensuite, dans certains cas, de nouveau inactivé.

C'est la première fois qu'une reprogrammation naturelle d'un chromosome entier, après la fécondation au cours de l'embryogenèse, est mise en évidence. Ces résultats sont publiés dans Science Express Online du 11 décembre 2003.

Ce sont deux chromosomes, les chromosomes sexuels qui sont responsables de la différence entre les mâles et les femelles chez les mammifères. Les individus mâles ont un chromosome X et un chromosome Y, alors que les individus femelles ont deux chromosomes X. En outre, le chromosome X en raison de sa grande taille est porteur d'un nombre plus élevé de gènes que le chromosome Y. A priori donc, les femelles possèderaient deux fois plus de protéines fabriquées par les chromosomes sexuels que les mâles.

Afin d'éviter que le fossé entre les sexes ne se creuse, la nature a trouvé un moyen pour compenser cette différence quantitative due aux chromosomes sexuels. Chez les femelles, un des chromosomes X est "inactivé" très tôt au cours de l'embryogenèse. Ce processus épigénétique (1) se traduit par l'extinction de la quasi-totalité des 2 000 gènes portés par ce chromosome X.

Reste à faire un choix entre le chromosome X hérité du père ou celui de la mère. Encore une fois la parité est de mise puisque, chez la plupart des femmes, l'inactivation de l'X se fait au hasard et aboutit à une mosaïque de populations cellulaires dont certaines expriment le X maternel et d'autres le X paternel. Cette mosaïque protège par ailleurs les femmes de certaines maladies portées par le chromosome X (voir ci-dessous).

Le plus bel exemple de cette mosaïque sont les chattes tricolores : leur pelage noir, blanc et roux reflète l'inactivation de l'un ou de l'autre des chromosomes X.

X paternel ou X maternel : un choix difficile

A l'Institut Curie, l'équipe d'Edith Heard (2) a centré ses recherches sur l'étude de l'inactivation du chromosome X chez la souris. Ikuhiro Okamoto dans cette équipe montre que cet événement a lieu avant la différenciation cellulaire – contrairement à l'idée admise jusqu'à présent – et surtout qu'il se déroule en plusieurs étapes. Au vu des travaux des chercheurs de l'Institut Curie, il s'avère que le chromosome X hérité du père est inactivé au stade " 4 cellules " après la fécondation de l'ovocyte. Ce X paternel restera inactif dans les cellules extra-embryonnaires (qui formeront ensuite le placenta). En revanche, il est réactivé au stade " 64 cellules " dans les cellules qui donneront le futur embryon (la masse cellulaire interne). C'est seulement ensuite au stade précoce de l'embryon que le choix entre les deux chromosome X, paternel ou maternel, a réellement lieu.

Ce travail met pour la première fois en évidence une " reprogrammation " d'ordre épigénétique du chromosome X : certaines propriétés de la cellule changent alors que son patrimoine génétique reste le même.

Epigénétique et cancer

Le développement d'un cancer est classiquement associé à l'accumulation d'altérations génétiques perturbant le fonctionnement de la cellule. Or, il est de plus en plus évident qu'en dehors des altérations, les modifications épigénétiques jouent un rôle important dans cette dérégulation. La compréhension des mécanismes épigénétiques impliqués dans l'inactivation de l'X pourrait ainsi permettre de mieux appréhender les dérégulations observées dans certaines pathologies comme le cancer. Pour preuve, l'équipe d'Edith Heard montre l'implication d'une protéine particulière (la protéine Enx1) dans les processus liés à l'inactivation du X. Or, l'équivalent humain de cette protéine (la protéine Ezh2) est surexprimé dans un grand nombre de tumeurs humaines (3). Très récemment, il a même été montré que cette protéine était associée aux formes métastatiques de cancer de la prostate et qu'elle pouvait en être un marqueur.

C'est une nouvelle preuve du parallèle existant entre la formation d'un embryon et le développement d'un cancer. De nombreux points communs existent entre ces deux processus se caractérisant entre autres par le passage d'une cellule unique à un groupe de plusieurs cellules, à tel point que le développement embryonnaire est parfois considéré comme le " miroir inversé " de la cancérogenèse.

Cette découverte sur le mécanisme de l'inactivation de l'X des chercheurs de l'Institut Curie a donc des retombées déterminantes à plusieurs niveaux :
    * fondamentale, sur la connaissance de l'embryogenèse,
    * thérapeutique, sur la connaissance de la cancérogenèse et notamment l'identification de marqueur de l'agressivité des tumeurs.

X et maladie génétique

De nombreuses pathologies sont liés à des anomalies génétiques sur le chromosome X. Pour un certain nombre d'entre-elles, l'inactivation aléatoire du X permet de protéger les femmes, ce qui en fait des maladies transmissibles par les femmes mais touchant essentiellement les hommes.

C'est notamment le cas de la myopathie de Duchenne, de l'hémophilie, du syndrome de Wiskott-Aldrich et de nombreux retards mentaux tels que le syndrome avec X fragile, deuxième cause de retard mental après la trisomie 21.


Notes :
1) L'épigénétique recouvre l'ensemble des phénomènes biologiques qui ne sont pas strictement déterminés par le matériel génétique. Les variations épigénétiques influent sur le phénotype sans altérer le caryotype d'un organisme.
2)Equipe ATIPE « Epigenèse et développement des mammifères », CNRS/Institut Curie
3) « EZH2 is downstream of the pRB-E2F pathway, essential for proliferation and amplified in cancer » A. P. Bracken et coll. Embo, vol 22, p. 5323-5335.
4) « The polycomb group protein EZH2 is involved in progression of prostate cancer » S. Varambally et coll. Nature, vol. 419, p.624-629.
Références :

Références :
« Epigenetic Dynamics of Imprinted X Inactivation During Early Mouse Development »
Science, 11 décembre, vol. 302 Ikuhiro Okamoto1, Arie P. Otte2, C. David Allis3, Danny Reinberg4 and Edith Heard1
1 - Institut Curie, 26 rue d'Ulm, Paris 75005, France
2 - Swammerdam Institute for Life Sciences, BioCentrum Amsterdam, University of Amsterdam, 1018 TV Amsterdam, The Netherlands
3 - Rockefeller University, Box 78, 1230 York Avenue, New York, NY 10021, USA
4 - Howard Hughes Medical Institute, NJ 08854, USA

Source : communiqué presse CNRS