dimanche 7 octobre 2001

Aspects neurobiologiques de la fonction sexuelle masculine

Journée du 20 juin 1997 organisée par les comités d'interfaces INSERM - Reproduction humaine et INSERM - Neurosciences


Aujourd'hui encore, la biologie de la sexualité reste mal connue.


Néanmoins, ces toutes dernières années ont été riches en avancées dans le domaine de la recherche en neurobiologie, en neurophysiologie et dans celui de la neuro-imagerie. Par ailleurs, des traitements pharmacologiques de plus en plus efficaces se développent pour les troubles de la sexualité masculine.


Aussi, l'INSERM et les sociétés françaises de reproduction humaine et de neurosciences ont souhaité organiser, pour la première fois, une journée consacrée à la fonction sexuelle masculine pour permettre aux chercheurs et aux cliniciens de faire le point sur ces dernières avancées. Cette manifestation, qui a lieu dans le cadre de la Journée d'andrologie de Bicêtre, se conjugue avec transdisciplinarité puisque se rencontreront des scientifiques et des médecins issus de deux disciplines qui ont rarement l'occasion de se côtoyer, la reproduction humaine et les neurosciences.


Cette réunion est un bel exemple de l'action menée par les comités d'interface mis en place par l'INSERM pour contribuer activement à l'organisation d'une véritable continuité des activités de recherche, à susciter des collaborations depuis la recherche fondamentale jusqu'à la recherche médicale et en santé. Les comités d'interface associent l'INSERM aux sociétés savantes médicales. Ils organisent l'échange d'informations et d'idées entre le monde de la recherche et le monde médical, tentent de stimuler la recherche clinique et en santé en aidant à la constitution de réseaux.


Ces comités d'interface sont également amenés progressivement à participer à la veille médicale ; ils peuvent ainsi interpeller l'INSERM sur des problèmes émergents en terme de santé humaine et susciter une réflexion prospective pour développer les recherches nécessaires. Vingt-sept comités existent actuellement, et plus d'une centaine de sociétés savantes médicales y participent.


Les comités d'interface sont incités de plus en plus à travailler ensemble de manière transdisciplinaire. Cette journée sur la fonction sexuelle masculine est une illustration de cette évolution puisque deux comités d'interface se sont associés pour participer à son organisation. Le comité d'interface INSERM - Neurosciences regroupe 8 sociétés savantes. Le comité d'interface INSERM - Reproduction humaine rassemble 8 sociétés de spécialités médicales, dont la Société d'Andrologie de Langue française (SALF) et l'Association française d'Urologie (AFU), dont le Pr Alain Jardin (CHU de Bicêtre) est le représentant.




NEUROPHYSIOLOGIE CENTRALE DE L'ACTIVITE SEXUELLE


Différentes régions du système nerveux central et du système nerveux périphérique (moelle épinière) participent à la régulation du comportement sexuel. Quelles sont ces structures, comment sont-elles impliquées, quelles sont leurs interactions ? La neurobiologie de la fonction sexuelle masculine a fait un bond en avant ces dernières années même si l'on ne dispose pas encore aujourd'hui d'une vision globale claire du contrôle de cette fonction. Cette journée sera l'occasion de faire le point sur toutes ces recherches qui ouvrent des perspectives considérables dans la mise au point de traitements pharmacologiques pour les troubles de l'érection et de l'éjaculation.


Les différents exposés ciblent des niveaux d'organisation particuliers dans la commande nerveuse des fonctions sexuelles. Ainsi, Serge Stoleru s'intéresse à un niveau très supérieur du contrôle puisqu'il met en lumière la participation des aires corticales du système nerveux central. Elaine Hull et Antonio Argiolas scrutent, quant à eux, un autre niveau du contrôle central en étudiant l'hypothalamus. Enfin, Olivier Rampin et Kevin McKenna se situent au carrefour, entre le contrôle central et les organes génitaux : ils étudient, en effet, la moelle épinière qui reçoit les informations provenant du système nerveux central mais aussi provenant des organes génitaux et qui agit, en retour, directement sur la fonction sexuelle. La dichotomie entre l'excitation sexuelle (situation sexuellement stimulante) et l'érection (fonction sexuelle) sera soulignée par Benjamin D. Sachs.


* Excitation sexuelle : quelles sont les structures cérébrales mises en jeu ?
Serge Stoleru, U292 INSERM, le Kremlin-Bicêtre


On dispose aujourd'hui de techniques d'imagerie cérébrale fonctionnelle qui permettent de visualiser chez l'homme conscient les aires du cerveau qui sont actives au cours de tâches particulières. Ces outils rendent possible l'étude des bases cérébrales du comportement sexuel humain. Serge Stoleru, Marie-Claude Gregoire et collaborateurs, en collaboration avec le Cermep (Centre d'études et de recherches médicales par émission de positons, Lyon), à l'aide de la tomographie à émission de positons (TEP), ont cherché à identifier les régions cérébrales impliquées dans la phase d'excitation sexuelle chez des sujets masculins en bonne santé. Les chercheurs ont présenté à ces sujets soit un film "neutre " sur le plan émotionnel, soit un film comique (provoquant des émotions positives non sexuelles) soit un film sexuellement explicite (provoquant des émotions positives sexuelles). Ils montrent que certaines aires du cerveau ne travaillent que pendant la présentation du film sexuellement explicite ; ces régions représenteraient des sites cérébraux privilégiés pour le traitement et l'intégration de perceptions qui sont à l'origine de l'excitation sexuelle. L'imagerie cérébrale offre donc un outil exceptionnel de l'exploration, en temps réel, de fonctions complexes. Au plan clinique, on conçoit bien sûr l'intérêt de telles explorations dans le cadre des troubles de la sexualité associés à un dysfonctionnement de régions encéphaliques.




* Erection et copulation : le rôle déterminant de la dopamine
Elaine Hull, Université de New york, Buffalo, États-Unis


Elaine Hull s'intéresse à une région du cerveau fortement impliquée dans le comportement sexuel. Il s'agit de l'aire préoptique médiane, située dans l'hypothalamus. Sa lésion abolit le comportement sexuel. Elaine Hull montre que, chez le rat, il est possible d'expliquer le décours temporel des différentes étapes de la copulation (érection, éjaculation, période réfractaire) par trois actions successives d'un même neuromédiateur, la dopamine, au sein de l'aire préoptique médiane. En effet, les quantités de dopamine augmentent dans cette région pendant le comportement sexuel. Et, en augmentant, la dopamine modifie son action en utilisant des récepteurs différents : ainsi, au tout début de l'excitation, la dopamine à faible dose entraîne une levée de l'inhibition exercée sur les réflexes sexuels. Elle utilise pour cela les récepteurs D3. A un niveau un peu plus élevé et en utilisant les récepteurs D1, elle facilite l'érection et retarde l'éjaculation ; enfin, à forte dose et en utilisant les récepteurs D2, elle facilite l'éjaculation et inhibe l'érection. La recherche et la mise au point d'agonistes et d'antagonistes spécifiques de ces sous- types de récepteurs dopaminergiques ouvrent la voie au traitement de l'éjaculation précoce.




* Rôle du noyau paraventriculaire
Antonio Argiolas, Université de Cagliari, Cagliari, Italie


Antonio Argiolas s'intéresse à un autre noyau de l'hypothalamus, le noyau paraventriculaire. Celui-ci contient plusieurs populations de neurones, dont certaines assurent la synthèse et la libération des neuropeptides tels que la vasopressine et l'ocytocine. Antonio Argiolas montre, chez le rat éveillé, que des microinjections de produits mimant l'action de neuromédiateurs endogènes (dopamine, ocytocine, glutamate, monoxyde d'azote) dans le noyau paraventriculaire provoquent des érections. Par ailleurs, il montre que le monoxyde d'azote (NO) est impliqué dans le déclenchement de l'érection et la copulation. Chez des rats " impuissants " (qui ne copulent pas) les taux de l'enzyme de synthèse du NO dans le noyau paraventriculaire sont deux fois plus faibles que chez des rats copulant. Enfin, la production de monoxyde d'azote augmente dans ce noyau chez des rats en présence de femelles réceptives, et au cours de la copulation. Le noyau paraventriculaire agirait sur la commande médullaire des organes génitaux et représenterait donc une voie de sortie importante du cerveau vers la moelle épinière.




* L'ocytocine, un neuropeptide proérectile
Olivier Rampin, INRA, Jouy-en-Josas


La moelle épinière est la source de l'innervation des organes génitaux. Elle représente le carrefour et le site d'intégration des informations nerveuses venant de la périphérie et celles en provenance du système nerveux central qui provoquent la mise en jeu des organes sexuels. Chez le rat, Olivier Rampin montre qu'il existe, dans la moelle épinière, des fibres nerveuses à ocytocine qui proviennent du noyau paraventriculaire (hypothalamus, système nerveux central) et qui sont en contact direct avec les neurones proérectiles de la moelle épinière. L'ocytocine libérée dans la moelle épinière par ces fibres s'avère être un neuropeptide qui déclenche l'érection chez le rat. Olivier Rampin met en évidence cette action en enregistrant des érections provoquées par des injections d'ocytocine dans la moelle épinière. Sous réserve de démontrer l'action sélective de l'ocytocine sur l'érection, une approche thérapeutique des patients blessés medullaires pourrait être envisagée par injection, dans les territoires situés sous la lésion, de produits visant à restaurer la fonction sexuelle.




* Comparaison mâle-femelle de la fonction sexuelle
Kevin Mc Kenna, northwestern University, Chicago, États-Unis
Professeur associé, Université de Paris-Sud, le Kremlin-Bicêtre


Il existe plus de ressemblances que de différences dans l'organisation anatomique, neurochimique et physiologique des réflexes sexuels qui caractérisent l'orgasme chez le mâle et la femelle. La contraction rythmique des muscles stries pelviens au cours de l'orgasme, les changements des rythmes cardiaque et respiratoire et l'augmentation des taux d'ocytocine circulant se révèlent semblables. Les différences anatomiques reposent plus sur la quantité d'innervation des organes génitaux et des muscles striés pelviens, quantité corrélée positivement avec la taille et le volume des organes cibles, que sur la nature ou la qualité des réflexes. Chez des rats anesthésies dont la moelle épinière est sectionnée, la stimulation des fibres sensitives de la région pelvienne provoque également chez le mâle et la femelle des réflexes des organes génitaux (érection-éjaculation chez le mâle, contractions vaginales et utérines chez la femelle) et des muscles striés pelviens. Ces réflexes sont également obtenus dans les deux sexes après ablation des testicules ou des ovaires. Ils apparaissent également après stimulation de l'hypothalamus chez des rats des deux sexes dont la moelle est intacte. Ces résultats montrent la similarité de ces réponses stéréotypées chez le mâle et la femelle. Cette identité des sexes, qui peut paraître surprenante, suggère néanmoins que des résultats issus des recherches sur l'un des sexes peuvent trouver des applications pour l'autre sexe, que ce soit en terme de régulation médullaire des fonctions sexuelles ou en terme de restauration des fonctions sexuelles après lésion médullaire.




* Psychobiologie de l'excitation sexuelle
Benjamin D. Sachs, Université du Connecticut, Storrs, États-Unis


On admet volontiers que l'érection chez l'homme représente un index indiscutable de l'excitation sexuelle. Pourtant, les contextes dans lesquels survient l'érection sont variés et la régulation physiologique de l'érection varie selon ces contextes. Celle-ci peut survenir en présence d'une excitation sexuelle (au cours de l'acte sexuel) ou en son absence (érection nocturne, érection consécutive a la prise d'une drogue ou d'une substance pharmacologique). Par ailleurs, l'excitation sexuelle ne se traduit pas forcément par l'érection (impuissance, lésions médullaires, castration). Pour développer l'étude de la psychobiologie de l'excitation sexuelle, c’est-à-dire l'étude des causes psychiques de cette excitation, il est nécessaire de définir rigoureusement l'état d' "excitation sexuelle". Benjamin D. Sachs, comportementaliste, propose ainsi une classification du comportement sexuel base sur la nature du contexte et la présence ou non d'érection. Par ailleurs, un modèle récemment développé chez le rat permet de mieux comprendre les mécanismes de l'érection " psychogénique " humaine, c’est-à-dire dont l'origine est psychique, et de développer une approche expérimentale de l'excitation sexuelle. Il s'agit de rats mâles, qui en présence d'une femelle sexuellement attractive mais non accessible, presentent des érections.




LES CONSEQUENCES SEXUELLES DES TRAUMATISMES MEDULLAIRES


Les lésions de la moelle épinière, conséquences d'un accident de la route par exemple, se traduisent par des invalidations plus ou moins graves. On compte aujourd'hui, en France, quelque 30 000 personnes paraplégiques (paralysées des membres inférieurs) et tétraplégiques (des quatre membres) qui sont confrontées à une difficile réinsertion tant sociale que familiale. Les personnes les plus atteintes sont souvent affectées dans leur vie la plus intime : non seulement l'innervation somatique qui commande la locomotion n'est plus assurée, mais sont altérées également les fonctions végétatives et sexuelles. Les hommes peuvent être confrontés a des problèmes d'impuissance et de stérilité. Des cliniciens du CHU de Bicêtre développeront leurs approches en matière de traitement pharmacologique des troubles de l'érection et de stérilité. Enfin, les approches expérimentales d'Alain Privat (Unite 336 INSERM) ouvrent des perspectives sur la restauration des fonctions locomotrices et sexuelles par les techniques de greffes neuronales.


Vincent Izard (service d'Urologie, CHU de Bicêtre) fait le point sur l'utilisation des techniques de l'assistance médicale à la procréation chez des hommes souffrant d'une lésion médullaire. Le recours aux differentes techniques d'APM est, en effet, possible à partir de l'éjaculat recueilli médicalement ou par prélèvement chirurgical. François Giuliano (service d'Urologie, CHU de Bicêtre) s'intéresse, lui, au traitement des troubles de l'érection chez les blessés médullaires. Celui-ci a évolué depuis le début des années quatre-vingt ou les premières prothèses furent proposées aux patients. Quelques années plus tard, s'appuyant sur le rôle des fibres musculaires lisses dans le processus d'érection, des substances pharmacologiques ont permis la prise en charge des dysfonctions érectiles quelle qu'en soit l'étiologie. Délivrées par voie intracaverneuse par le patient lui-même, ces substances sont pour les unes dite "facilitatrices" de l'érection : il s'agit du VIP (vasoactive intestinal peptide) et du CGRP (calcitonin gène related peptide), tous deux neuromédiateurs naturellement présents dans le tissu érectile ; on trouve également dans cette catégorie une substance produisant la libération de monoxyde d'azote (NO), qui est considéré comme le principal agent responsable de la relaxation musculaire lisse érectile, ou encore un antagoniste des récepteurs alpha- adrénergiques. Ce dernier est le seul traitement de cette catégorie disponible en France. La deuxième catégorie de produits proposée aux patients concerne les "drogues erectogenes", dont l'administration intracaverneuse est réalisée par le patient également : y figurent le chlorhydrate de papavérine (alcaloïde de l'opium) et la prostaglandine E1, tous deux disponibles en France.


Une autre approche est en cours d'évaluation : il s'agit d'administrer, toujours par le patient, à l’intérieur de l'urètre, de la prostaglandine E1 à l'aide d'une sorte de canule. Néanmoins, cette approche n'a pas été testée auprès de patients blessés médullaires. Enfin, un essai thérapeutique international mène chez des blessés médullaires, et que coordonne le service d'Urologie du CHU de Bicêtre, est en cours : l'administration d'une substance, un inhibiteur de la dégradation du second messager du NO, se fait par voie orale, une heure environ avant le rapport.


Alain Privat (Directeur de l'Unité 336 INSERM, Montpellier), dans son approche expérimentale, vise à rétablir l'éjaculation chez des rats lésés à un niveau précis de la moelle épinière. Les chercheurs entreprennent une greffe de neurones embryonnaires sérotoninergiques sous le niveau de la lésion. Un mois après, la séquence "érection-éjaculation" est restaurée montrant ainsi le rôle essentiel de la sérotonine dans la moelle épinière pour l'éjaculation. D'autre part, les travaux posent la question de l'existence dans la moelle épinière, de centres autonomes "régulateurs" qui pourraient être activés. Ce travail ouvre des perspectives thérapeutiques nouvelles quant à la restauration des différentes fonctions lésées après un traumatisme médullaire.


Source : dossier de presse Inserm, 1997.