samedi 11 mars 2000

Questions-réponses sur la sexualité


Pourquoi le sexe est-il apparu dans l’évolution ?
Aucun doute, la nature aime le sexe : environ 95 % des espèces connues de végétaux et d’animaux sont sexuées. Pourtant, un certain nombre d’entre elles se reproduisent parfaitement sans le sexe, soit par fission (le clonage, inventé quelques milliards d’années avant l’homme par les animaux unicellulaires), soit par parthénogenèse. La méthode est économique puisqu’elle évite aux espèces concernées de produire deux types de cellules sexuelles (gamètes), d’inventer toute la machinerie étrange des attractants sexuels stimulant le désir, de gâcher une énorme énergie dans les rites de séduction et dans les exercices de copulation. La parthénogenèse est aussi efficace : en dix générations, on a calculé qu’une espèce asexuée « type » produit mille fois plus de descendants qu’une espèce sexuée. La parthénogenèse est enfin une méthode sûre, puisque les bactéries se reproduisent ainsi depuis plus de 3 milliards d’années. Pourquoi donc l’évolution a-t-elle inventé la reproduction sexuée ? Parce que celle-ci, quoique plus compliquée au premier abord, présente plusieurs avantages sélectifs.
La reproduction asexuée produit des clones : sauf dans le cas d’une mutation, les enfants sont parfaitement semblables à leurs parents. L’invention du sexe a changé la donne : les parents ne donnent chacun que 50 % de leur génome (aléatoirement sélectionnés lors de la méiose) à leurs enfants. Il en résulte une plus grande diversité entre les individus de l’espèce.
Or, cette diversité se révèle avantageuse dans au moins trois types de situations : les mutations génétiques, l’adaptation écologique et la résistance aux parasites. Les mutations génétiques, qui résultent d’erreurs de copie de l’ADN, sont le plus souvent délétères pour l’individu qui en est porteur. La reproduction asexuée tend à les accumuler rapidement puisque les gènes mutés sont transmis à l’identique de génération en génération. Dans la reproduction sexuée, les chances de transmettre des mutations sont minimisées, puisqu’il faut hériter du gène muté du père en même temps que de celui de la mère au terme de la grande loterie que représente la recombinaison génétique. La reproduction sexuée aboutit ainsi à des individus porteurs de mutations à l’état hétérozygote : les mauvaises se stabilisent ou sont peu à peu éliminées du pool génétique ; les bonnes permettent une éventuelle adaptation aux changements de milieu.
Cette adaptation écologique est le deuxième avantage du sexe. Lorsque le milieu change, la reproduction asexuée offre peu de souplesse, tous les descendants étant identiques à leurs parents à quelques mutations près. Le sexe produit au contraire une plus grande variabilité : les individus inadaptés au changement disparaissent tandis que les autres survivent. Certaines espèces cumulent les avantages des deux modes de reproduction. C’est le cas des pucerons (aphides), par exemple. Lorsque les ressources sont abondantes, les aphides se reproduisent par parthénogenèse ; mais dès que leur milieu s’appauvrit, ils choisissent la voie sexuelle, ce qui diversifie la progéniture.
Le troisième avantage de la reproduction sexuée se concrétise dans la résistance au parasite. Les parasites — virus, bactéries, vers, etc. — co-évoluent avec leurs hôtes : ils s’adaptent les uns aux autres en permanence.A ce jeu, les parasites sont champions du fait de la fréquence de leurs mutations. Or, les animaux issus de la fission ou de la parthénogenèse n’ont pas beaucoup de répondant en la matière : les enfants sont adaptés aux mêmes parasites que leurs parents. Qu’un parasite évolue vers une forme un peu plus gourmande ou virulente, donc dangereuse pour son hôte, et c’est toute la lignée qui se trouve menacée d’extinction. La reproduction sexuée permet au contraire la mise en place de défenses antiparasitaires très variées.
Si l’on comprend aujourd’hui pourquoi la reproduction sexuée est apparue, on ne sait pas encore exactement  comment.L’hypothèse la plus probable, formulée par G.A.Parker, suppose une compétition entre les organismes sexuellement indifférenciés d’une même espèce.Dans un environnement offrant une quantité limitée de ressources, la sélection naturelle offre deux stratégies possibles : renforcer la taille ou le nombre des gamètes. L’évolution aurait ainsi produit un dimorphisme cellulaire, prélude au dimorphisme sexuel.Cette pression sélective a pu jouer au niveau des organismes, mais aussi bien au sein du génome, entre gènes cytoplasmatiques et gènes nucléaires, comme le pensent L.M.Cosmides et J.Tooby.
Si l’on ignore l’alchimie primitive ayant donné naissance au sexe, on commence à se faire une idée plus claire de la genèse des chromosomes sexuels — les fameux X et Y que tous les futurs représentants de l’espèce humaine tirent à la loterie lorsque le spermatozoïde de leur père rencontre l’ovule de leur mère. Les chromosomes sont composés de gènes eux-mêmes formés d’ADN (acide désoxyribonucléique). Ils transmettent les caractères génétiques héréditaires propres à l’espèce. Contrairement aux autres paires de chromosomes qui sont en principe identiques, les chromosomes sexuels (XX chez la femelle, XY chez l’homme) sont extrêmement différents l’un par rapport à l’autre. Au cours de l’évolution des espèces, le sexe mâle ou femelle n’a pas toujours été déterminé par une différence chromosomique. Ainsi, chez les reptiles, il dépend de la température d’incubation des œufs. Mais, lorsque les animaux à sang chaud doté d’un appareil reproductif interne ont émergé, la détermination du sexe par la température est devenue problématique.
Avec l’apparition de la branche des mammifères, qui s’est détachée de la branche reptile voici 300 millions d’années, une paire d’autosomes (chromosomes non sexuels) a commencé à évoluer pour donner naissance aux chromosomes X et Y. Bruce Lahn, professeur de génétique humaine à l’Université de Chicago (Illinois) et David Page, du Whitehead Institute, ont tenté de comprendre pourquoi. Ils ont centré leur recherche sur les 19 gènes communs aux deux chromosomes sexuels. « Sur le chromosome X, nous avons constaté que ces gènes formaient quatre groupes, disposés comme les strates géologiques successives d’un terrain […] Nous avons été capables de reconstruire les quatre phases qui ont conduit ces chromosomes à leur forme distincte en X et Y. Plus nous remontions loin en arrière et plus les chromosomes X et Y apparaissent identiques ».
Selon les chercheurs, la première étape de cette évolution a débuté lorsque l’un des autosomes X a acquis le gène dit SRY (Sex determining Region Y), qui détermine l’apparition du sexe masculin. « Le chromosome portant le gène SRY, expliquent-ils, est devenu le chromosome Y et son partenaire qui en était privé est devenu le chromosome X ». Au fur et à mesure de l’évolution, la distinction des chromosomes X et Y s’est accrue, car ils ont cessé de se recombiner. Ce processus, par lequel une paire de chromosomes échange son matériel génétique lors de la formation de l’œuf ou du sperme, est en effet indispensable pour conserver l’identité génétique. Par la suite, une série de quatre inversions chromosomiques — des cassures de segments d’ADN qui se retrouvent inversés et qui jouent un rôle important dans l’évolution — a scellé le sort de ces chromosomes X et Y et renforcé leur différenciation.

Doit-on faire la guerre ou l’amour ?
Les deux activités ne sont pas toujours très différentes… Pour s’en convaincre, inutile d’aller chercher quelques espèces atypiques comme les mantes religieuses ou les mygales, dont la femelle dévore volontiers le mâle après l’accouplement.En augmentant la diversité des individus au sein d’une même espèce, la reproduction sexuée provoque de nombreux conflits potentiels entre ces individus : celui qui ne trouve pas son alter ego dans l’autre sexe périt sans laisser de descendance.Pour transmettre ses gènes, non seulement il lui faut trouver un ou plusieurs partenaires, mais il faut aussi savoir choisir le ou les bons. Vaste programme. Darwin a nommé « sélection sexuelle » cette pression permanente exercée par l’évolution. C’est notamment à cause d’elle que les cerfs développent d’énormes bois, que les bombyx produisent de puissantes phéromones, que l’albatros entame une folle danse en période nuptiale ou encore… que certains hommes font de la musculation !
Outre leurs caractères sexuels primaires (les organes génitaux et les différences physiologiques liées à la reproduction), les animaux comme les hommes développent des caractères sexuels secondaires : ceux-ci ne contribuent pas directement à la sexualité ou à la fécondité, mais jouent un rôle dans la sélection du partenaire.Il y a donc compétition au sein de chaque sexe pour choisir le meilleur partenaire ou lui offrir les meilleurs atouts.Mais il y a aussi compétition entre les sexes qui n’ont pas les mêmes stratégies reproductives. Pour faire la guerre, inutile de savoir faire l’amour.Mais pour faire l’amour, il vaut mieux savoir faire la guerre !
La première différence entre la femelle et le mâle tient à l’investissement en énergie et en temps qu’ils consentent pour développer leur gamète.Dans l’espèce humaine comme chez la plupart des mammifères, l’ovule est gros et rare ; le spermatozoïde minuscule et abondant. Pour une dépense nutritive et énergétique équivalente, la femme produit un ovule par mois, l’homme plusieurs millions de spermatozoïdes par jour. Par ailleurs, la gestation interne demande à la femelle des sacrifices que le mâle ignore (surtout lorsque cette gestation est suivie par la lactation).Ces différences expliquent la manière dont les sexes envisagent l’accouplement et les soins parentaux.
Le philosophe Schopenhauer l’énonçait ainsi : « Par nature, l’homme incline à l’inconstance en amour, la femme à la constance ».Alors que le mâle a plutôt tendance à répandre ses millions de spermatozoïdes — ce qui ne le prédispose pas à s’investir durablement dans les soins à sa descendance —, la femelle a intérêt à se montrer très sélective dans le choix du conjoint qui fécondera son précieux ovule.Ces dispositions expliquent que les deux sexes ne perçoivent pas de la même manière la fidélité, par exemple.Une étude américaine a ainsi montré qu’en moyenne, les hommes jaloux sont sensibles aux infidélités sexuelles, les femmes jalouses aux infidélités affectives.
La sélectivité d’une femelle renforce la compétition entre ses prétendants.Dans sa quête du partenaire masculin idéal, la beauté d’un ornement, la qualité d’un chant, la complexité d’un rite de cour, la vigueur au combat sont des bons indices qualitatifs : seuls les mâles bien dotés physiquement et génétiquement peuvent assumer l’effort nécessaire au développement de ces caractères sexuels secondaires.Pour cette raison, le sexe qui connaît la plus grande compétition en son sein (le mâle en règle générale) est aussi celui qui exhibe les différences individuelles les plus prononcées.
Si ces deux tendances fondamentales se retrouvent dans toute reproduction sexuée, elles varient bien sûr selon les espèces.Robert L.Trivers, qui a modélisé dans les années soixante-dix la théorie de l’investissement parental, a aussi prédit qu’elle serait réversible selon le rôle dévolu aux sexes.Et c’est le cas.Chez le pluvier d’Europe ou le phalarope à cou rouge, par exemple, ce sont les pères qui construisent le nid, couvent les œufs et s’occupent de nourrir les petits après leur naissance.En bonne logique, ce sont les femelles de ces deux espèces qui entrent en compétition pour courtiser les mâles.
Si on compare l’Homo sapiens sapiens à ses cousins primates ou à ses ancêtres fossiles, on constate que notre espèce a maintenu un certain dimorphisme sexuel : les hommes sont par exemple plus vigoureux ou plus pileux que les femmes. Néanmoins, l’émergence de nos capacités cognitives plus complexes a changé la donne.La maîtrise des ressources physiques et l’imposition de la dominance sociale sont progressivement passées sous le contrôle du cortex. Mais comme l’ont montré les neurobiologistes Antonio Damasio et Jean-Didier Vincent, la pleine fonctionnalité de notre système cérébral — ce que nous appelons « conscience » — dépend aujourd’hui encore de nos émotions les plus ancestrales.Le cortex tourne à vide sans l’hypothalamus.L’intelligence a besoin de l’aiguillon du désir et du plaisir.On en revient toujours là…

Un homme peut-il savoir quand une femme est féconde ?
Non, pas directement : chez l’homme, contrairement à beaucoup d’autres espèces, l’ovulation de la femelle n’apparaît au mâle ni par des changements physiologiques externes (rougissement de la vulve, par exemple), ni par des messages chimiques perceptibles (phéromones).L’homme ne sait donc jamais avec précision quand une femme est susceptible d’être fécondée.D’autant que celle-ci tend à se montrer sexuellement réceptive et attractive tout au long de son cycle menstruel.Cette double caractéristique — ovulation cachée, réceptivité permanente — a sans doute joué un rôle non négligeable dans l’évolution des hominidés.Deux hypothèses s’affrontent à ce sujet.
Pour les biologistes Richard Alexander et Katharine Noonan, l’ovulation discrète a favorisé la monogamie : pour s’assurer qu’il est bien le père de sa progéniture, l’homme a dû rester auprès de sa compagne. Une astreinte qui a bien sûr été rendue plus agréable par le fait que la femme soit toujours sexuellement réceptive.C’est la théorie du père au foyer.
La primatologue Sarah Hrdy préfère quant à elle l’hypothèse des amants multiples. On sait depuis peu qu’outre l’homme, de nombreuses espèces — lion, lycaon, chimpanzé, gorille — pratiquent l’infanticide : lorsqu’un mâle a affronté victorieusement un concurrent et prend possession de son harem, il n’est pas rare qu’il tue tous les nouveau-nés. Ce faisant, il supprime d’un même geste les derniers vestiges génétiques de son prédécesseur et la lactation de la mère, ce qui déclenche un nouveau cycle ovulatoire. Pour S.Hrdy, l’ovulation cachée de la femme et sa réceptivité sexuelle permanente lui permettent de coucher avec plusieurs mâles sans qu’aucun d’entre eux n’ait une complète certitude de sa paternité.Ce doute diminue d’autant le désir d’infanticide du mâle.
En fait, comme le souligne le physiologiste Jared Diamond, ces deux théories ne s’annulent pas forcément. « Chez l’ancêtre commun des hommes, des gorilles et des chimpanzés, les femelles masquant le mieux leur ovulation et évitant ainsi l’infanticide ont eu une descendance plus importante. Lorsque ce caractère s’est fixé, les femelles ont pu l’utiliser pour s’attacher un partenaire afin de bénéficier en permanence de sa protection ».

La prohibition de l’inceste est-elle propre à l’homme ?
C’est ce que pense la communauté des anthropologues et ethnologues. Pour Claude Levi-Strauss, la prohibition de l’inceste — union entre frère et sœur ou parent et enfant — représenta un acte fondateur des sociétés humaines dans la mesure où elle obligeait les groupes à élargir leurs liens et leurs échanges. Le tabou de l’inceste est une réalité quasi-universelle même si, comme le démontre souvent l’actualité judiciaire, des relations incestueuses existent bel et bien dans la plupart de nos sociétés. On sait qu’historiquement, l’inceste a été reconnu comme une prérogative de la royauté ou de la noblesse en Egypte, en Iran, au Pérou ou encore dans les îles Hawai. Cléopâtre, par exemple, est probablement issue de 11 générations de relations incestueuses (frère-soeur) au sein de la dynastie des Ptolémées ! Par ailleurs, l’ethnologue Jean Malaurie a montré dans Les derniers rois de Thulé que les eskimos Inuits pratiquaient couramment l’inceste : les communautés étant géographiquement très éloignées, toutes ne parviennent pas à nouer une union « exofamiliale » et il n’est pas rare de voir un père s’unir à une de ses filles.
La plupart des psychologues, à la suite de Edward Westermark et de Havelock Ellis, expliquent la répugnance à l’égard de l’inceste par l’accoutumance des personnes vivant ensemble : la familiarité provoquerait un manque d’intérêt érotique, voire une répulsion. Cette hypothèse semble vérifiée par des études menées dans les kibboutzim israéliens, où les mariages entre enfants éduqués ensemble sans être pour autant liés biologiquement sont rarissimes.
Les sciences de la vie ne proposent pas les mêmes explications que les sciences humaines. Le caractère « négatif » des relations incestueuses se déduit ici de nos connaissances en génétique. Les parents et les enfants comme les frères et sœurs partagent en effet 50 % de leur génome. Celui-ci contient certains gènes délétères à l’état homozygote, c’est-à-dire des gènes provoquant des affections graves lorsqu’ils se trouvent présents en double exemplaire (un reçu du père, un autre de la mère). Selon plusieurs analyses convergentes, chacun d’entre nous serait ainsi porteur de 2 à 5 mutations létales, heureusement récessives  ! Une reproduction incestueuse accroît donc de manière considérable la probabilité de voir deux gènes délétères assortis. D’où la plus grande proportion de tares dans les unions consanguines : on parle d’un « effet dépressif » sur le pool génétique.
Une des études les plus citées concerne 161 enfants tchécoslovaques dont les mères avaient noué des relations incestueuses : 15 de ces enfants étaient morts avant leur première année et 40 % des survivants souffraient de handicaps mentaux ou physiques de gravité diverse. Inversement, les 95 autres enfants de ces mères, nés de liaison extrafamiliale, ne présentaient aucune variation par rapport à la normale. Cette règle concerne d’ailleurs toute reproduction sexuée : une étude des botanistes Nicolas Waser et Mary Price sur le pied d’alouette des montagnes (Delphinium nelsonii) a ainsi montré que les plantes issues d’une pollinisation rapprochée — c’est-à-dire d’un brassage génétique minimal — étaient moins vigoureuses que celles ayant poussé à une plus grande distance. Toutefois, certains scientifiques ont démontré l’existence de lignées consanguines saines, où les gènes défectueux avaient peu à peu été éliminés du pool génétique.
Quoi qu'il en soit des lois de Mendel, le rejet de l’inceste agit chez les hommes comme un « instinct » et non comme une conséquence de notre savoir. Comme l’écrit le sociobiologiste Edward O. Wilson, « des milliers de sociétés qui ont existé au cours de l’histoire humaine, seules quelques-unes parmi les plus récentes ont des connaissances en génétique. Elles ont eu très peu d’occasions de se livrer à des calculs rationnels sur les effets destructeurs de la consanguinité ». D’où provient dès lors cet instinct de répulsion à l’égard de l’inceste ? Il s’est probablement forgé au cours de l’évolution.John Hoogland a ainsi montré que la date de la première ovulation des jeunes femelles chiens de prairie (rongeurs d’Amérique du Nord) est retardée lorsque leur père est encore présent dans le groupe et qu’elles recherchent systématiquement un partenaire à l’extérieur si la situation ne change pas.Cette réaction a été retrouvée dans plusieurs autres espèces.L’inhibition sexuelle présidant à l’évitement de l’inceste pourrait donc s’expliquer par une prédisposition génétique poussant les individus à éviter les relations intra-familiales. Cette prédisposition serait issue de la sélection naturelle ayant opéré sur des milliers de générations : les enfants nés de relations incestueuses ayant moins de descendants que les autres — ce qui est attesté  —, la tendance à l’inceste se serait révélée moins adaptative que son évitement.
Le tabou de l’inceste trouve sans doute son origine à la croisée de ces différents schémas explicatifs, c’est-à-dire dans une codétermination par la nature et par la culture.

Le viol existe-t-il dans la nature ?
Oui, si l’on en croit la thèse soutenue par le biologiste Randy Thornhill et l’anthropologue Craig Palmer dans leur essai sur l’« histoire naturelle du viol ». Thornhill est un spécialiste reconnu du comportement des insectes, et ses premiers travaux portaient sur les mœurs sexuelles des panorpes (mouches-scorpions). Chez ces animaux, les mâles sont en compétition pour s’arroger le droit de féconder les femelles, et ces dernières se montrent particulièrement sélectives dans le choix de leur partenaire. La panorpe mâle a le choix entre offrir à sa belle des insectes morts en guise de cadeau nuptial ou sécréter à travers leur salive une boule nutritive. Mais Thornhill a observé une troisième option, aussi naturelle et répandue que les deux autres : les mâles déchus tentent tout simplement de violer les femelles qui les repoussent ou tentent de les fuir. Ils sont même dotés pour cette agression sexuelle d’un organe spécial, une sorte de pince dorsale qui ne sert apparemment qu’à maintenir la victime durant le viol.
Il n’y a pas que les panorpes qui pratiquent le viol, et le sujet a donné lieu à une abondante littérature (B. Bagemihl, T.H. Clutton-Brock, B.B. Smuts, etc.). Chez les éléphants de mer, le viol constitue même le rapport sexuel le plus répandu ! On le retrouve chez trois espèces de primates non-humains : routinier chez les ourangs-outangs, le viol est plus occasionnel chez les chimpanzés et les gorilles — ces deux dernières espèces aggravant leur cas en pratiquant également l’infanticide. D’un point de vue évolutionnaire, estiment Thornhill et Palmer, le viol représente donc une stratégie masculine comme une autre pour répandre ses gènes dans la population : il est fondé sur le désir sexuel, non sur la violence ou la volonté de domination (comme le soutiennent souvent les féministes). Deux hypothèses peuvent l’expliquer : soit la sélection naturelle a conservé le viol dans la gamme des comportements masculins parce qu’il correspond à une stratégie spécifique permettant d’accroître le succès reproductif ; soit le viol est un sous-produit de l’adaptation sexuelle des mâles leur permettant de féconder plusieurs femelles sans être contraint de s’investir ensuite auprès d’elles comme parents.
En ce qui concerne les sociétés humaines, où chacun sait que le viol est hélas une habitude répandue et quasi exclusivement masculine, les deux scientifiques avancent un grand nombre de statistiques. Celles-ci montrent par exemple que le type le plus fréquent de victime est la femme jeune, attractive et fertile, c’est-à-dire la plus apte à être fécondée et à donner une progéniture. Inversement, l’étude des entretiens psychologiques avec les victimes de viol montre que les jeunes femmes ressentent beaucoup plus de souffrance que les femmes âgées, de même que les femmes mariées sont plus éprouvées que les femmes célibataires. Ce qui correspond aux prédictions de la psychologie évolutionnaire : les jeunes femmes sont celles qui ont le plus à perdre (grossesse non désirée, investissement parental maximal pour la mère du fait de l’absence de père et de la diminution des partenaires possibles), de même que les femmes mariées risque de voir diminuer ou de perdre l’intérêt de leur mari pour leur couple.
Thornhill et Palmer mettent bien sûr en garde contre toute tentative de légitimation du viol par leurs travaux : « La théorie de l’évolution ne nous dit pas ce qui est bon ou mauvais. Bien des chercheurs en sciences sociales semblent avoir du mal à l’admettre. Ils pensent, à tort, que le fait de qualifier un comportement de conforme à la logique darwinienne de l’évolution signifie que ce comportement est moral ou inévitable, voire les deux à la fois. Ce qui est bien sûr aberrant ». Si le viol est « normal » du point de  vue naturel, il est en revanche « anormal » au regard de nos codes culturels.

Les êtres humains ont-ils tous deux chromosomes sexuels ?
Non. La nature a produit des aberrations chromosomiques. L’une des plus célèbres est le Y surnuméraire (XYY), qui concerne une naissance mâle sur 1000. Les XYY sont plus grands et moins intelligents que la moyenne, leur acné est plus prononcée et ils montrent un taux de testostérone plus élevé. Leurs coudes sont souvent incurvés vers l’extérieur. Le Y surnuméraire est surtout connu comme le « chromosome du crime » : une étude anglaise avaient effet démontré en 1960 que l’on trouvait une plus forte proportion de XYY dans la population carcérale que dans la population générale. Bien que controversée, ce résultat a été confirmé par plusieurs autres travaux. Le Dr Carl Pfeiffer s’est intéressé au cas d’un tueur en série XYY, Arthur Shawcross. Il a découvert que cet individu présentait un taux anormalement élevé de kryptopyrrole, substance souvent associée à la schizophrénie et à diverses anomalies de comportements.
Le syndrome de Klinefelter représente le cas inverse du précédent : un X surnuméraire (XXY). Les individus atteints sont de grande taille, mais leurs caractères sexuels (masculins) sont peu développés et ils souffrent souvent d’azoospermie.
Autre anomalie chromosomique fréquente (une naissance sur 3000 environ) : le syndrome de Turner ou monosomie X. L’individu ne présente qu’un seul chromosome sexuel X (XO). Les personnes atteintes du syndrome de Turner sont de petite taille, connaissent un développement sexuel incomplet, souffrent de pathologies physiques (cardiaques et osseuses) et cognitives (troubles du comportement social, faible QI). En 1997, une étude dirigée par le Dr David H. Skuse, de l’Institut pour la santé de l’enfant de Londres, a fait grand bruit : l’équipe de ce chercheur a montré que le comportement des XO varie sensiblement selon que leur chromosome X unique est hérité du père et de la mère. Les X paternels ont notamment des meilleurs scores aux tests psychologiques d’attention, où leurs résultats se rapprochent des femmes XX. Inversement, les X maternels sont plus rigides et s’adaptent difficilement à leur milieu social. Conclusion des chercheurs : « Il existe sur le chromosome X — probablement sur le bras court de ce chromosome — un locus impliqué dans la maîtrise et l’adaptation des comportements sociaux ».

Naît-il toujours autant d’hommes que de femmes ?
Non. Les statistiques montrent qu’il naît en moyenne 105 garçons pour 100 filles. Outre ce déséquilibre qui se vérifie dans presque toutes les sociétés, les démographes ont constaté deux variations significatives du sex-ratio chez l’homme : l’« effet-soldat » et l’« effet-élite ».
L’effet-soldat se traduit par une augmentation du nombre des naissances masculines à la fin d’une guerre. Ainsi, en Angleterre et au Pays de Galles, il naissait 103,4 garçons pour 100 filles en 1914, mais ce chiffre a grimpé à 106 garçons pour 100 filles en 1919. Et le même effet s’est répété entre 1941 et 1946. L’« effet-élite », quant à lui, aboutit à une surreprésentation des hommes dans les familles d’individus dominant socialement. Ce sex-ratio a été d’abord repéré dans une espèce de primate, les atèles du Pérou, dont les femelles de haut rang donnent naissance à des mâles alors que la progéniture des femelles écartées par le mâle dominant est essentiellement féminine. Chez le cerf, les conditions défavorables de gestation des femelles, généralement dues au désintérêt du mâle, sont associées à une augmentation disproportionnée des naissances de femelles. Cette tendance s’est retrouvée dans les sociétés humaines : une étude portant sur les familles des individus inscrits dans les Who’s Who américains, allemand et anglais parvient à un sex-ratio de 114 garçons pour 100 filles.
Dans une méta-analyse synthétisant 30 études menées selon des critères méthodologiques rigoureux et totalisant plus de 400 millions de naissances, Anouch Chachnazarian est parvenu aux conclusions suivantes : les trois facteurs montrant le plus d’influence sur le sex-ratio sont la race (moins d’écart entre les sexes chez les populations d’origine africaine), le rang de naissance (toujours plus de garçons chez les aînés) et le statut socio-économique (toujours plus de garçons en haut de l’échelle sociale).
D’où proviennent ces phénomènes ? Aucune explication scientifique ne fait aujourd’hui l’unanimité. Pour le chercheur américain John Martin, les spermatozoïdes porteurs du chromosome Y sont plus mobiles que les X, mais ils ont une durée de vie plus courte. Plus les rapports sexuels sont fréquents (ce qui est le cas dans la première partie de la vie conjugale ou après une longue période de privation due à un conflit), plus il y a de chance pour les Y l’emportent. Une hypothèse qui explique l’« effet-soldat », mais pas l’« effet-élite ». Le biologiste anglais William James préfère une explication fondée sur les hormones : les parents présentant un fort taux d’œstrogène et de progestérone ont plus de chance d’avoir des garçons.
La néo-zélandaise Valerie J. Grant a repris cette hypothèse hormonale et considère, quant à elle, que la naissance des garçons est corrélée à la « dominance maternelle », c’est-à-dire au taux de testostérone de la mère. Pour les sociobiologistes Robert Trivers et Daniel Willard, la prédominance des mâles en première naissance de couples dominants s’explique par un rapport « coût-bénéfice » dans la propagation des gènes : les femelles au mieux de leur condition physique, généralement choisies par les mâles, ont plus de chance d’avoir une grande descendance si elles donnent naissance à des mâles (ceux-ci devenant dominant du fait de la qualité de leurs géniteurs) ; inversement, les femelles vieillissantes ou à santé chancelante font un meilleur investissement avec les filles qu’avec les garçons.

Le Viagra… et après ?


Voici deux ans, les couvertures des tabloïds et magazines du monde entier s’ornaient d’une petite pilule bleue... Le Viagra a-t-il tenu ses promesses ?A quoi ressemblent les nouvelles molécules concurrentes qui entrent sur le marché ? Dans le secret des laboratoires, on prépare aujourd’hui l’amour de demain.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 9 millions de prescriptions en une seule année aux Etats-Unis, 250 000 en France, un milliard de dollars de chiffres d’affaire pour la société Pfizer qui le commercialise. Le Viagra, molécule sildénafil de son nom scientifique, a connu un franc succès depuis son lancement voici deux ans.Devenue aussi célèbre que l’aspirine, cette « pilule du désir » représente à elle seule un phénomène de société.
Pour Alain Jardin, chef du service d’urologie du CHU de Montpellier, le phénomène s’appuie d’abord sur un très vieux socle de notre imaginaire : « L’érection occupe une place prépondérante dans la sexualité masculine, souligne-t-il.Elle en est la manifestation la plus visible, l’extériorité la plus marquante.Mais elle est encore bien plus : condition de l’accouplement et garante de la perpétuation de l’espèce, elle apparaît dans toutes les civilisations comme l’un des premiers symboles de la vie ».
L’érection est pour l’homme un « symbole de puissance », appuie l’historien des sciences André Béjin (CNRS) : « Les femmes pouvaient simuler la jouissance.L’homme, dorénavant, sera en mesure de simuler la puissance ».Plus prosaïque, le sociologue Alain Ehrenberg y voit plutôt un symbole du « culte de la performance » qui envahit nos sociétés : en affaire comme en amour, l’efficacité devient le maître-mot et les individus doivent s’adapter à tous les changements, quitte à médicaliser leur vie quotidienne. Cette attitude devant la vie est plus avancée aux Etats-Unis qu’en Europe, ce qui expliquerait le différentiel de consommation : au sein de la population masculine souffrant de troubles de l’érection, un Américain sur trois a consommé du Viagra contre un Européen sur dix seulement.

“La verge comme le cœur remue par elle-même” (Aristote)
Quoi qu'il en soit des motivations plus ou moins spontanées du consommateur, le petit losange bleu répond d’abord à un vrai problème de santé publique. En France, 7 % des hommes de 18 à 69 ans reconnaissent qu’il leur arrive souvent de ne pas avoir d’érection dans leur rapport sexuel.Le trouble est certes moins répandu que l’éjaculation prématurée (10 %), mais il touche tout de même 1,5 million de personnes.Et le vieillissement aidant (15 % de la population française a déjà plus de 65 ans), les choses ne vont pas s’arranger puisque la fréquence des dysfonctionnements érectiles s’accroît avec l’âge.
Avant le Viagra, il n’existait que deux traitements disponibles : l’injection de chlorhydrate de papavérine par auto-piqûre dans la verge, procédé mis au point par Ronald Virag en 1982, ou l’implantation chirurgicale d’implants tantôt semi-rigides tantôt gonflables dans le pénis. Une piqûre ou une opération : on comprend que ces procédés aient connu moins de succès que la simple ingestion d’une pilule !
La mise au point du Viagra s’appuie sur les découvertes récentes de la recherche scientifique.On savait depuis Aristote que l’homme est la seule espèce privée d’os pénien : « La verge comme le cœur est un organe qui remue par lui-même », soulignait déjà le Stagirite au Ve siècle avant J.C. Or depuis, les progrès furent très minces : il faut attendre les années 80 du XXe siècle pour commencer à comprendre vraiment les mécanismes de l’érection !
Le gonflement de la verge est la conséquence d’un afflux de sang dans ses tissus érectiles.Elle survient spontanément durant le sommeil paradoxal, ce qui explique notamment la fréquence des érections matinales.A l’état de veille, l’érection répond à une stimulation sexuelle qui peut prendre la forme d’un attouchement local ou d’une représentation mentale. C’est en fait le système nerveux central qui commande les différentes phases de l’érection masculine.La stimulation réelle ou virtuelle déclenche la synthèse et la libération d’un neuromédiateur, le monoxyde d’azote, qui provoque à son tour un relâchement des muscles des corps caverneux et du corps spongieux du pénis.Les cellules musculaires produisent alors du GMP cyclique qui rigidifie la verge à mesure qu’elle s’engorge de sang.Mais ce GMP cyclique est détruit par une enzyme, la phospho-diestérase de type 5.Or la molécule active du Viagra, la sildénafil UK 92-480, bloque cette activité inhibitrice de l’enzyme et rétablit la voie monoxyde d’azote-GMP cyclique.Les chercheurs qui ont mis au point la sildénafil dans les laboratoires de Pfizer ont découvert cette qualité par hasard, en analysant les effets secondaires de patients traités pour des insuffisances cardiaques.Les tests des vertus sexuelles de la sildénafil sur les animaux avaient été négatifs : la molécule agit lorsqu’il y a déjà stimulation sexuelle.Elle ne la crée pas.

Stimulation sexuelle : la guerre des molécules
Deux ans après sa première commercialisation aux Etats-Unis, quel est le bilan thérapeutique du Viagra ? Selon une enquête financée par les laboratoires Pfizer, l’âge moyen des utilisateurs de la petite pilule bleue est de 57 ans et leur indice de satisfaction s’élève à 70 %.Dans une autre étude dirigée par Ronald Virag, inventeur du procédé concurrent de la micro-injection intracaverneuse, seul 32 % des patients sont restés fidèles au Viagra, 34 % d’entre eux préférant recourir aux piqûres de chlorhydrate de papavérine. L’efficacité relative du Viagra s’explique par l’étiologie complexe des troubles érectiles, dont on estime que 5 à 10 % seulement ont une origine purement physiologique.
Le marché annuel de l’érection étant évalué à 3 ou 4 milliards de dollars pour 2001-2002, on comprend aisément pourquoi les concurrents du Viagra s’apprêtent à envahir les pharmacies.Le laboratoire Zonagen commercialise déjà en Amérique latine un médicament sous le label Vasomax (Vasofem pour les femmes) et dont la molécule active est le phentolamine mésylate.Le Vasomax présente le même effet vasodilatateur que le Viagra, mais il agit au niveau des récepteurs adrénaliens des cellules musculaires.Sa commercialisation en Europe et aux Etats-Unis est à l’examen.Des effets secondaires signalés chez les animaux risquent toutefois de la retarder.
Autre produit annoncé : l’Uprima des laboratoires Takeda & Abbott.Les chercheurs de cette société ont découvert que les personnes atteintes de la maladie de Parkinson connaissent une amélioration de leur érection lorsqu’elles reçoivent un traitement à base d’apomorphine.Cette molécule est un agoniste dopaminergique qui améliore les stimulations sexuelles des noyaux paraventriculaires de l’hypothalamus, organe cérébral impliqué dans le processus de l’érection et de l’orgasme.
Autre molécule en voie de commercialisation rapide : le PT-14, un peptide analogue de l’hormone mélano-stimulante.Selon les rumeurs s’échappant des laboratoires de test de la société Palatin, ce médicament aura pour avantage sur ses concurrents de provoquer de manière quasi-automatique l’érection en stimulant directement l’excitation sexuelle. Les utilisateurs jugeront…
Comme le souligne Françis Giuliano, chirurgien urologue au CHU de Bicêtre, « on peut envisager d’associer des médicaments agissant différemment.De telles combinaisons auraient l’avantage d’attaquer des cibles différentes : les muscles de la verge et les zones responsables de l’érection dans le cerveau ou la moelle épinière ».

Les femmes ne sont pas oubliées
Les hommes ne sont pas les seuls à souffrir de troubles sexuels et les chercheurs ne se désintéressent pas de l’autre moitié de l’humanité.D’autant que selon une étude américaine récente, 60 % des femmes se plaignent de leurs rapports sexuels. Mais pour les scientifiques, la sexualité féminine demeure encore une terra incognita.Elle ne se traduit par aucun phénomène aussi quantifiable et mesurable que peut l’être l’érection du pénis.La lubrification vaginale, provoquée par l’afflux de sang dans les muqueuses, facilite l’intromission du pénis.Une lubrification insuffisante est source de douleur lors de la copulation.De même, le clitoris, organe homologue du pénis, connaît une légère érection chez la femme, selon le même procédé chimique de la voie monoxyde d’azote-GMP cycli­que. Les laboratoires Pfizer testent actuellement la sildénafil sur 800 femmes à travers le monde. Mais rien ne prouve que la tumescence clitoridienne et la lubrification vaginale, qui devraient être améliorées par le futur Viagra version rose, stimulent le désir féminin.Les laboratoires de la société Procter & Gamble, eux aussi en lice pour commercialiser un aphrodisiaque féminin, étudient en ce moment les effets d’un patch à la testostérone.Cette hormone masculine est également présente dans les gonades et le cerveau féminin, et on sait que sa baisse de concentration après la ménopause est corrélée à un affaiblissement de la stimulation sexuelle.
Avec le Viagra, le traitement des troubles de la sexualité est entré dans une nouvelle ère.Les prochaines années devraient apporter une diversification considérable des réponses thérapeutiques dans un domaine où, comme le rappelle Henri Navratil, vice-président de l’Association française d’urologie, «chaque patient pose un problème particulier».Eros n’a pas livré tous ses mystères...  

vendredi 10 mars 2000

Grandeur et déclin du sperme

Si l’on en croit une série d’études, les hommes sont victimes d’un véritable krach boursier : selon les régions, la concentration de spermatozoïdes dans chaque éjaculat a diminué de 30% à 50%. Pour la majorité des scientifiques, notre mode de vie est le principal coupable : les hormones contenues dans un grand nombre de produits industriels modifient nos capacités sexuelles. Certains généticiens défendent une thèse plus inquiétante : le chromosome Y serait condamné à dépérir !
A la fin des années soixante-dix, plusieurs chercheurs avaient déjà tiré la sonnette d’alarme : leurs études montraient que la qualité du sperme — mesurée par le nombre de spermatozoïdes par éjaculat et par leur mobilité — était en nette régression depuis l’après-guerre. A l’époque, la nouvelle avait fait peu de bruit : en pleine libération sexuelle, les oiseaux de mauvais augure étaient mal venus.
Tout autre fut l’accueil de l’étude menée par les Danois Elizabeth Carlsen et Niels E. Skakkebaek en 1992. Leur méta-analyse révélait une chute sur cinquante ans de la concentration spermatique : 113 millions/ml en 1938, 66 millions/ml seulement en 1990. Soit une dégringolade de 42 %. « Il existe peu d’études fiables.Mais celle-ci est alarmante », reconnaît Bernard Jégou, spécialiste de la reproduction masculine à l’Inserm.
Cette tendance inquiétante a suscité un vif débat dans la communauté des chercheurs. D’abord contesté, le chiffre fut ensuite confirmé par d’autres travaux.

Meilleur sperme à Caen qu’à Toulouse
Jacques Auger et Pierre Joannet, du Centre d’études et de conservation du sperme (Cecos) de l’hôpital Cohin (Paris) constatent ainsi une baisse régulière de 2,1 % par an entre 1973 (89 millions/ml) et 1992 (60 millions/ml). Paradoxe : plus le donneur de sperme est jeune, moins son sperme est riche. Mêmes conclusions pour des études menées en Ecosse, en Belgique et en Grèce. Et tout récemment pour le Canada. En revanche, les Finlandais semblent épargnés par la banqueroute de sperme : on constate même l’inverse, à savoir une augmentation de la concentration de plus de 10 %, surtout sensible dans les zones rurales. De même, la plupart des études américaines n’ont pas trouvé d’évolution marquante dans la qualité du sperme — mais une analyse plus fine montre des disparités régionales dans le nombre de spermatozoïdes par éjaculat, de 72 millions/ml en Californie à 131,5 millions/ml à New York. Divergence identique en France : un éjaculat contient en moyenne 311 millions de spermatozoïdes à Caen, mais seulement 211 à Toulouse.
Les scientifiques ont relevé d’autres signes du déclin des fonctions reproductives masculines. Partout à travers le monde, l’incidence du cancer des testicules n’a cessé d’augmenter depuis un demi-siècle — de 2 à 4 % par an pour les hommes âgés de plus de 50 ans. La fréquence de l’hypospadias — abouchement de l’urètre gênant parfois l’érection — a également augmenté, passant par exemple aux Etats-Unis de 20,2 à 39,7 naissances sur 10 000 entre 1970 et 1993. La cryptorchidie — affection bloquant le testicule dans l’abdomen — semble avoir connu la même progression depuis trente ans.
Le bon sperme devient donc un produit rare. Mais quelles en sont les causes ? Etant donné la rapidité du phénomène, la plupart des biologistes excluent une origine génétique et se tournent plus volontiers vers les facteurs environnementaux. Processus incriminé : l’augmentation du taux d’œstrogènes dans le corps du fœtus ou du jeune enfant. Certaines hormones féminines comme l’œstradiol sont toujours présentes en petite quantité dans les gonades masculines, à côté de la testostérone et des autres androgènes. Elles sont même une condition nécessaire pour la bonne production de spermatozoïdes. Mais lorsque les œstrogènes sont présents en quantité trop importante, elles provoquent le phénomène inverse : blocage de la masculinisation de l’organisme et hypofertilité.

Des hormones dans les produits industriels
Mais d’où viennent ces œstrogènes qui bombardent les jeunes mâles ? Essentiellement de l’usage surabondant de produits chimiques comportant des perturbateurs endocriniens. Chaque année, entre 1000 et 2000 nouveaux composés chimiques pénètrent les marchés.Les détergents, les herbicides, les pesticides, les plastiques, certains produits ménagers voire alimentaires contiennent ainsi de nombreuses substances œstrogènes : organochlorine, phthalates, alkylphénoles, hydrocarbones chlorés, biphénol-A, etc.
Certains cas sont hélas restés célèbres dans les annales de la médecine : ainsi, dans les années 70, plusieurs milliers d’ouvriers agricoles d’une bananeraie du Costa-Rica sont devenus stériles du fait de l’utilisation du DBCP (dibromo-chloropropane), un pesticide prudemment retiré du marché par la suite. Mais pour un cas identifié, combien de perturbateurs endocriniens circulent encore autour du nous ? Tian de Jagger et M.S. Bornman, spécialiste de la fertilité, dressent une liste inquiétante de toutes les expositions possibles à ces substances : « eau contaminée, sources polluées, pénétration à travers la peau par les shampooings, les cosmétiques, les lubrifiants spermicides et les détergents domestiques ou industriels, inhalation ou ingestion indirecte de pesticide, contamination de la nourriture végétale et animale par les akylphénoles, contamination des aliments par leurs emballages plastiques ». Nombre de produits ont été retirés du marché européen en 1997, et d’autres devraient normalement afficher la mention « Peut altérer la fertilité »...
Les produits chimiques ne sont pas les seuls incriminés. On sait qu’une chaleur excessive, par exemple, bloque la production de spermatozoïdes viables. C’est la raison pour laquelle certaines professions — boulangers, soudeurs, céramistes — connaissent plus de difficultés que d’autres pour avoir des enfants.

Les effets du stress, de la chaleur… et du sel iodé
Les scientifiques s’interrogent également sur le facteur stress : après le tremblement de terre de Kobé (1995), les biologistes japonais ont mis en évidence une nette baisse de concentration du sperme. Et plusieurs analyses effectuées sur les animaux de ferme élevés dans des conditions stressantes donnent les mêmes indications. Toutefois, aucune étude n’a été menée pour évaluer la corrélation entre le stress quotidien et la production gonadique — même s’il est par ailleurs notoire que le stress tend à inhiber le désir sexuel.
L’équipe américaine de James Crissman a émis en début d’année une autre hypothèse, plutôt surprenante : la chute du nombre de spermatozoïde proviendrait de l’utilisation du… sel iodé ! En analysant les données concernant les Etats-Unis, ces chercheurs ont constaté une baisse significative à partir de l’année 1960, qui semble correspondre en moyenne aux hommes dont la date de naissance se situe autour de 1924. C’est précisément cette année-là que le sel iodé fut introduit dans l’alimentation américaine. Les effets bénéfiques de l’iode pour le développement cérébral sont connus : cette substance accélère la production de thyroxine, hormone utile à la croissance du cerveau.
Quel rapport avec le sperme ? Le groupe de Crissman a testé sur des rats un régime très pauvre en iode : la progéniture de ces rongeurs s’est révélée surpuissante sexuellement, avec des testicules deux fois plus gros que la normale ! Richard Sharpe, spécialiste de la fertilité attaché à l’Unité de biologie reproductive du Centre de recherche médicale d’Edimbourg, reste sceptique et attend d’autres confirmations expérimentales. Surtout, il craint une mauvaise interprétation de ces recherches : « Il est à craindre que certains comprennent mal le message et décide que le développement de leur sperme est plus important que celui de leur cerveau ! »

Les monogames ont-ils moins de spermatozoïdes ?
Le généticien Sherman J. Silber, attaché au Centre de traitement de l’infertilité de l’hôpital Saint-Luc à Saint-Louis (Missouri), ne s’inquiète pas outre mesure de ce déclin du sperme dans nos sociétés postmodernes. « Il ne fait aucun doute, affirme-t-il, qu’il existe depuis des millénaires une pression constante de l’évolution en direction d’un déclin inexorable de la spermatogenèse humaine ». En d’autres termes, les hommes seraient condamnés à l’impuissance.Aragon n’avait pas tort : la femme est l’avenir de l’homme !
Premier constat de Silber : les humains sont les plus médiocres fabricants de sperme de la planète. La plupart des animaux produisent 25 millions de spermatozoïdes par jour et par gramme de tissu testiculaire, là où le mâle Homo sapiens sapiens se contente d’une fabrication artisanale comprise en 4 et 6 millions. Pourquoi cette faiblesse ? Parce que nos mœurs sexuelles, de plus en plus dominées par la monogamie ou la polygamie restreinte, ont affaibli la « compétition des spermes » (Roger Short) qui caractérise les régimes de promiscuité.
Dans le monde animal, la taille des testicules et la qualité de la spermatogenèse sont corrélés au mode de relation sexuelle. Prenons nos proches cousins primates. Le gorille est un animal relativement fidèle qui construit des familles polygames stables. Ses testicules sont petites et sa production de sperme pauvre. Chez le chimpanzé, le régime sexuel est plus anarchique et se rapproche de la promiscuité : les femelles de la horde ont tendance à s’accoupler dès que les mâles dominants ont le dos tourné.Conséquence pour le mâle : un organe sexuel fort développé et une hyperfertilité prononcée, qui donnent à chaque spermatozoïde une chance face aux concurrents… peut-être déjà introduits chez la belle ! Cette guerre des mâles ne concerne pas que les primates : les fidèles oies ont des testicules minuscules lorsque les dindes volages possèdent des organes bien développés.

L’isolement  du chromosome Y
Mais selon Silber, la fidélité n’est pas la principale cause du déclin de la spermatogenèse humaine. Celle-ci serait plutôt attachée à l’évolution même du chromosome Y, qui commence voici environ 250 ou 300 millions d’années.
Si le chromosome X est resté impliqué dans des fonctions variées — plusieurs de ses gènes sont ainsi liés à un grand nombre de retards mentaux chez l’homme —, le chromosome Y s’est progressivement spécialisé dans les questions sexuelles. Entre autres choses, dans la détermination du sexe du futur embryon (le gène SRY) et dans les caractéristiques des testicules (les gènes TDF pour « Teste Determining Factor »). « Y » a peu à peu accumulé des gènes responsables de la spermatogenèse situés auparavant sur d’autres chromosomes.
Mais il a également récupéré des allèles défectueux. « Chez presque toutes les espèces, note le généticien, des défauts du chromosome Y empêchent totalement la spermatogenèse sans que le sujet montre d’autres anormalités génétiques ». On a qualifié ces gènes de « purement stériles ». Le premier identifié se nomme DAZ (pour « Deleted in Azoospermia ») et provoque l’azoospermie. Ce gène présente un homologue ancestral sur le chromosome 3. Or, avant l’émergence de la famille des primates, il semble qu’aucun gène de ce type n’ait été situé sur le chromosome Y. Ainsi, l’hominisation aurait rassemblé sur ce chromosome atypique le meilleur comme le pire.
Pourtant, souligne Sherman Silber, le chromosome Y est « un coin dangereux » : il s’agit en effet du seul chromosome qui ne bénéficie d’aucune recombinaison génétique (crossing-over). Alors que les 22 autres paires de chromosomes s’échangent leurs gènes et en profitent souvent pour neutraliser les défectueux, alors que, chez les femelles, les deux X se mélangent avant de se séparer lors de la méiose, le Y mâle reste désespérément seul. Autant dire qu’il multiplie les chances d’accumuler les mutations délétères. Et cela est d’autant plus vrai pour l’humanité que son régime sexuel atténue la compétition des mâles en vue de produire le sperme le plus fécond.
Le mâle serait ainsi programmé pour faire disparaître le mâle ! Une hypothèse qui ne manquera pas de réjouir les plus radicales des féministes…

Pour aller plus loin
Robert Jansen et David Mortimer (ed.) Towards Reproductive Certainty. Fertlity and Genetics Beyond 1999, Parthenon, 1999, 540 p.
J.-R. Zorn et M. Savale, La stérilité du couple, Masson, 1999, 335 p.

Phéromones : les parfums du désir


Une prairie ensoleillée, par une belle et chaude après-midi de printemps.Assoupi près d’un arbre, un couple profite du silence à peine entrecoupé de quelques piaillements d’oiseaux et bruissements d’insectes.Pourtant, cette prairie si paisible est parcourue d’appels en tout genre : « Ouvrière fourmi vient de découvrir importante source de miel : mobilisation générale ! » ; « Ici commence mon territoire : interdit aux lapins concurrents » ; « Jeune femelle bombyx, bien sous tout rapport, recherche en urgence amant pour la soirée ». Ces messages se comptent par milliers : ni l’homme ni la femme ne les perçoivent.Car ils sont écrits dans un langage invisible et indéchiffrable pour eux : les phéromones.
Sous ce nom étrange, on désigne la communication chimique utilisée par les animaux.Si l’homme emploie plus volontiers la mécanique (langage et laudition) ou la radiation (vision), bien des animaux préfèrent échanger des informations à l’aide de fines odeurs qu’ils émettent et captent autour d’eux.

Une molécule attire le mâle à plusieurs kilomètres
En 1959, ces odeurs ont été qualifiées de « phéromones » (du grec « pherein » transférer et « hormon » exciter) par Perter Kalson, Martin Lüscher et Adolf Butenandt, leur découverte revenant à ce dernier.
A partir des années quarante, le prix Nobel de chimie A.Butenandt s’est penché sur un problème qui passionnait les entomologistes depuis Jean-Henri Fabre : par quel prodige les papillons mâles sont-ils attirés par des odeurs alors qu’ils sont dépourvus de nez ?Le chercheur choisit d’étudier le ver à soie (Bombyx mori), dont la femelle est capable d’attirer le mâle à plusieurs kilomètres de distance.En 1959, Butenandt parvient à reproduire un alcool attracteur, qu’il baptise «bombykol».C’est la première phéromone isolée.L’année suivante, une autre découverte a un retentissement mondial : Jeanine Pain et Michel Barbier déchiffrent la substance utilisée par les reines abeilles pour stériliser leurs ouvrières.
Les phéromones sont des molécules simples ou complexes produites à partir de l’alimentation et synthétisées par des glandes exocrines.Ces dernières sont dispersées sur le tégument des insectes ou sur l’épiderme des poissons, batraciens et reptiles.Chez les mammifères, on les trouve sur les poils (glandes sébacées), sur la peau (glandes sudoripares, qui produisent ou conduisent la sueur) ou encore sous les aisselles (glandes apocrines).Même des organismes sim­ples comme les bactéries, les amibes et les levures utilisent des messages chimiques pour identifier ou attirer leurs congénères.
Il existe ainsi des milliers de molécules différentes circulant dans l’air et dans l’eau, qui deviennent autant de messages lorsqu’elles sont captées par des cellules chimioréceptrices et traduites par le cerveau.A ce jour, on a identifié chez l’animal une vintine de gènes codant pour les protéines de ces récepteurs, mais les scientifiques estiment qu’il en existe entre 200 et 400 chez les mammifères.

La découverte de l’organe voméronasal chez l’homme
Les phéromones sont classées selon leur fonction : les phéromones grégaires, qui servent à rassembler les individus d’une même colonie, les phéromones de reconnaissance, qui font office de carte d’identité, les phéromones d’espacement, qui repoussent des prédateurs ou indiquent un commencement de surpopulation, les phéromones de piste, qui orientent les congénères vers un bon festin ou un terrain de guerre, les phéromones d’alarme, qui avertissent du danger.
Mais les plus connues car les mieux étudiées sont les phéromones sexuelles. Comme le rappelle Rémy Brossut, directeur de l’unité Développement et communication chimique du CNRS, «on a longtemps considéré les sécrétions “odorantes” liées à la sexualité comme des manifestations anecdotiques de la biologie du comportement.Nous savons à présent que les interactions entre phéromones et hormones sont au centre du comportement sexuel des mammifères». La communication entre partenaires sexuels s’effectue par l’odeur, qui se transmet par deux voies : la muqueuse olfactive, reliée aux bulbes olfactifs de la région antérobasale du cerveau ; l’organe voméronasal, dont l’épithélium est pourvu de neurones capables de recevoir certaines phéromones que la muqueuse olfactive ignore.
Chez l’homme, l’organe voméronasal est une petite glande d’un millimètre de diamètre et d’un centimètre de long, située sous la muqueuse respiratoire.Elle a été décrite dès 1703 par l’anatomiste hollandais Thomas Ruysch, puis redécouverte un siècle plus tard par le Danois Ludwig Jacobson.Mais celui-ci pensait qu’il s’agissait d’un organe absent ou vestigial chez l’adulte : très développé chez le fœtus, il semble s’atrophier au cours du développement. En fait, on sait, depuis 1991,que la reconnaissance des phéromones reste bel et bien active chez la plupart des adultes. Par les seules squames de la peau, nous perdons chaque jour 40 millions de cellules qui composent un nuage invisible autour de nous et contribuent à définir notre odeur. De même, la sueur, l’urine, les muqueuses vaginales, les glandes sébacées du pénis ou du clitoris dégagent des stéroïdes odoriférants. Ces odeurs sont généralement qualifiées de « phéromones présomptives » dans la mesure où l’on ignore encore le plus souvent si elles agissent chez l’homme par la voie spécifique de l’organe voméronasal et des neurones qui lui sont associés dans le cerveau.

Le bébé reconnaît sa mère par l’odeur
L’exemple le plus connu de la reconnaissance humaine par l’odeur est celui de la relation entre la mère et son bébé.Dès le troisième jour, celui-ci est capable de discerner entre un tampon frotté sur le sein maternel et un autre imprégné de l’odeur d’une inconnue.Cette relation olfactive privilégiée dure quelques années puisque les tests ont montré que les enfants âgés de trois à cinq ans identifient l’odeur de leur mère sur les habits qu’elle a portés. L’inverse est vrai : plus de 90 % des mères reconnaissent un T-shirt porté par leur enfant de moins de dix ans.
La relation de la mère à l’enfant est évidemment très particulière.Peut-on l’extrapoler à d’autres comportements ?Le débat sur le rôle des phéromones dans les relations humaines — notamment reproductive et copulatoire —a été ouvert voici une trentaine d’années et a fait l’objet de nombreuses controverses.« Les connaissances en ce domaine sont encore fragiles », met en garde Claude Aron, spécialiste de la physiologie de la reproduction et professeur honoraire à l’université Louis Pasteur de Strasbourg.Plusieurs faits sont toutefois scientifiquement établis. Un des phénomènes les mieux étudiés est ainsi la synchronisation des règles : les femmes vivant ou travaillant en groupe (en particulier les religieuses) ont tendance à unifier peu à peu le rythme de leur cycle ovarien.

Les phéromones rythment l’ovulation
Martha McClintock, de l’université de Chicago, étudie la question depuis plus de trente ans.En 1998, elle a publié dans Nature le récit d’une étonnante expérience menée avec Kathleen Stern.A l’aide d’un tampon, les deux scientifiques ont prélevé les sécrétions des aisselles de neuf donneuses ayant un cycle régulier. Lorsque le tampon est placé au-dessus de la lèvre supérieure d’une dizaine de «receveuses», celles-ci modifient progressivement leur cycle. Une telle ovulation synchrone, déjà repérée chez les rongeurs, présente pour l’animal un avantage évolutif : les femelles peuvent s’occuper « en commun » de portées en nombre plus important.«La reproduction, souligne Martha McClintock, est un travail souvent risqué qui prend beaucoup de temps.Plus une femelle reçoit de signaux d’un cadre social favorable et meilleures seront les conditions de la gestation».Jane Lancaster, anthropologue à l’université d’Albuquerque, remarque cependant que les grands singes vivant en communauté semblent ignorer cette synchronisation ovarienne.Selon elle, «la jeune femme entrant dans sa période pubère peut tirer avantage d’une adaptation aux cycles de sa mère ou de ses sœurs plus âgées. Des ovulatrices ayant montré leur capacité aident les femelles qui leur sont apparentées à régulariser leur propre cycle et à devenir à leur tout des ovulatrices efficaces».
Au-delà de l’ovulation, les odeurs ont-elles un pouvoir attractif dans le domaine sexuel  ? A la fin des années soixante, on a identifié chez les porcs deux phéromones sexuelles émises par le mâle en période d’excitation : la première, androsténol, a une odeur de musc ; la seconde, androstérone, une odeur d’urine.Pulvérisées à l’aide de bombes aérosols près du groin des truies, ces deux substances excitent l’animal qui prend alors une posture d’accouplement. La question s’est vite posée de savoir si l’homme est un cochon comme un autre...
Les premières expériences sur le pouvoir attractant des phéromones sexuelles datent de la fin des années 70.A cette époque, M.Kirk-Smith et ses collaborateurs ont testé le pouvoir de l’androsténol dérivé de la testostérone et stocké par nos glandes sudoripares.Des hommes et des femmes ont été mis en présence d’hommes dont certains avaient le visage imprégné d’androsténol et d’autres non : les premiers ont toujours été jugés plus attirants par les femmes et, au contraire, moins par les hommes. Un deuxième test a été effectué quelques mois plus tard, avec cette fois de l’androsténone pulvérisé sur certains sièges d’une salle d’attente.Or, l’étude a montré que le taux d’occupation de ces sièges a augmenté chez les femmes et diminué chez les hommes.

Des modifications inconscientes du comportement
Des expériences similaires se sont multipliées dans les années 80 et 90.Elles ont toutes mené à la même conclusion : l’imprégnation par des phéromones tend à modifier notre comportement.Les deux sexes ne réagissent pas de la même manière : «La femme, souligne Claude Aron, dans ses activités psychiques et relationnelles, est plus dépendante que l’homme de son système olfactif». Cette sensibilité n’est pas la même pour tous les individus, et les anatomistes ne sont d’ailleurs pas persuadés que l’organe voméronasal soit vraiment actif chez tous.Ainsi, 7 % des hommes sont totalement insensibles à l’odeur de la triméthylamine, un composant du sang menstruel de la femme. Les goûts et les odeurs varieraient même selon les cultures : une expérience a montré que les femmes japonaises et italiennes réagissent désagréablement à l’odeur de leur partenaire, à l’inverse des femmes allemandes !
En 1991 le chimiste David L. Berliner et les biologistes LuisMonti-Bloch et B.I.Grosser ont montré que les phéromones sexuelles étaient bel et bien perçues par notre organe voméronasal.Quarante-neuf sujets des deux sexes se sont vus insuffler dans les narines trois substances : de l’huile de girofle et deux substances de la firme Erox contenant des phéromones sexuelles présomptives.Un électrode placé sur le voméronasal analysait l’activation de ses cellules neurosensorielles.L’huile de girofle a stimulé la muqueuse olfactive, mais laissé indifférent l’organe voméronasal.Ce dernier a au contraire été excité par les deux produits phéromonaux alors que la muqueuse olfactive n’y réagissait pas.Plus intéressant encore : l’Erox 830 a excité l’organe des mâles alors l’Erox 670 a titillé celui des femelles.
Les recherches ont rapidement donné lieu à la mise sur le marché de parfums phéromonaux aux vertus aphrodisiaques présumées.La firme Erox, dirigée par David Berliner,  commercialise  Contact 18, contenant de l’androstérone, et Désir 22, fabriqué à base d’androsténol et de copuline.Un autre chercheur, George Dodd, biologiste à l’université de Warwick (Angleterre), a pour sa part isolé un stéroïde dans la sueur humaine et l’a commercialisé (sous la marque Relax) comme produit tranquillisant à inhaler.
«Le rôle des odeurs corporelles  dans l’éclosion du désir apparaît encore hypothétique»,  tempère cependant Claude Aron.Une odeur peut accroître l’excitation des amants.Mais le filtre d’amour provoquant instantanément le désir du futur partenaire n’est pas pour demain.    

Odeur et gènes
Certains animaux choisissent peut-être leur partenaire sexuel en fonction d’un patrimoine génétique décelable dans leur odeur.On a par exemple découvert que l’odeur individuelle de la souris était entre autre déterminée par des gènes du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH).Ainsi, l’étude de deux populations de souris a montré que les rongeurs sont capables d’identifier les variations du CMH à travers les phéromones contenues dans l’urine.
Plus généralement, la reconnaissance débouche sur des croisements avec des sujets présentant un certain degré de parenté : cette reconnaissance de parentèle (kin recognition) favorise les appariements assortis (assortative mating).
Si l’homme moderne a tendance à chasser les odeurs corporelles ou à les masquer par les déodorants et parfums, il n’en va pas de même dans toutes les sociétés.Les indiens Yanomamö (Amazonie) et Karnum Irebe (Nouvelle-Guinée), par exemple, se frottent le corps et hument leurs mains lorsqu’ils se rencontrent.L’odeur corporelle y a conservé la valeur d’un signe de reconnaissance.Quant à la manie hygiénique de l’Occident, qui se traduit par des lavages très fréquents, elle aboutit en fait à intensifier la sudation et le développement de la flore bactérienne.

Pour aller plus loin
Claude Aron, La sexualité. Phéromones et désir, Odile Jacob, 2000.
Rémy Brossut, Les Phéromones. La communication chimique chez les animaux, Belin, 1996

Europe : le Sud plus fertile que le Nord

En 1999 ont été publiés les résultats de la première enquête épidémiologique sur la fertilité comparée des femmes européennes.L’étude porte sur 6630 femmes de cinq pays (Allemagne, Danemark, Italie, Pologne, Portugal).Au terme d’une année de rapports sexuels non protégés, 23 % d’entre elles n’avaient pas réussi à avoir un enfant.Mais ce chiffre varie selon un gradient Nord-Sud : 33 % en Pologne, 26 % en Allemagne, 23 % au Danemark, 19 % en Espagne et 16 % en Italie.

Sexe machine

Connaissez-vous la « Lovegety » ?Cette première machine à détecter le coup de foudre fait fureur au Japon. Il s’agit d’un radio-transmetteur en forme de pendentif, qui offre un choix de six activités : sortie, danse, amour, film, discussion, boire un verre. Quand un Lovegety mâle passe à moins de six mètres d’une Lovegety femelle et que les deux bidules sont branchés sur la même activité, ils se mettent à sonner. Les deux inconnus peuvent alors se reconnaître dans la foule. Et se rejoindre, en vue de l’activité qu’ils avaient choisie (ou plus si affinités). Rick Borovoy, du Massachussets Institute of Technology, croit fermement à l’avenir de ces coups de foudres électro-magnétiques. Son laboratoire a mis au point des machines du même genre, mais plus complexes. Chaque badge comporte cinq questions avec trois réponses-types du genre : « Avec qui préférez-vous dîner ? Zinedine Zidane, Max Gallo ou David Halliday ? ». Lorsque deux personnes se croisent et qu’ils ont programmé le même type de réponse aux cinq questions, leurs badges carillonnent de concert et cinq feux verts s’allument. Michelle McDonald a quitté le MIT pour commercialiser une version grand public, notamment dans les boites de nuit. L’amour assuré ? « Avec des questions simples et pas trop sérieuses, les gens s’en servent au moins pour briser la glace. Ce n’est pas si mal ». L’argument scientifique à la base de cette démarche : au-delà des gènes, le cerveau humain obéirait à des codes universels de comportements — les mèmes —, qui se reproduisent et se combinent eux aussi sur un mode évolutif. Les « love-machines » renverseraient l’ordre naturel : au lieu d’un désir (biologique) suivi d’une adaptation (vie commune), ils définiraient d’abord les conditions d’une bonne vie commune. Excitant… non ?

Une espèce incestueuse

La plupart des mammifères sont peu incestueux et peu consanguins, sauf en cas de réduction importante de la population.Il existe une exception : les rats-taupes glabres d’Afrique.Ces curieux rongeurs ont une organisation proche de celles des insectes sociaux (une génitrice principale, quelques reproducteurs et des centaines d’« ouvriers » privés de vie sexuelle).Plus étonnant encore : cette espèce présente un coefficient de parenté de 80 %, ce qui indique une sexualité incestueuse dominante.L’environnement désertique où vit cette espèce explique sans doute la faiblesse des échanges génétiques entre les colonies.

Un paradis sexuel… imaginaire

Les descriptions des mœurs des contrées lointaines n’offrent pas toutes une égale rigueur scientifique, et certaines ont même induit en erreur des générations de chercheurs.L’exemple le plus célèbre est l’enquête de Margaret Mead aux îles de Samoa, publiée en 1928 et devenu un classique des sciences humaines.Mead, élève de l’anthropologue Franz Boas, a décrit dans son livre un véritable paradis sexuel : à l’en croire, les adolescents polynésiens, libérés de la « culpabilité occidentale », se livraient à un joyeux vagabondage sexuel sans complexe ni contrainte.Le viol, «occasionnel», était supposé provenir du «contact avec la civilisation blanche».L’influence de cet essai fut immense.Nombre d’étudiants y virent une bible de la libération sexuelle ; les ethnologues et les anthropologues une arme contre le « déterminisme biologique », en l’occurrence remplacé par le déterminisme culturel : «L’essentiel de ce que nous imputons à la nature humaine, affirmait Boas en commentant l’ouvrage de sa disciple, relève d’une réaction aux contraintes de notre propre civilisation».

Hélas, ce paradis était imaginaire.En 1983, Derek Freeman, anthropologue australien qui arriva dans l’île 15 ans après Mead et y vécut six ans (elle n’y avait séjourné que neuf mois !), dénonce dans sa contre-enquête une «fraude» et un véritable «mythe anthropologique». Les habitants de Samoa se révèlent être un peuple guerrier depuis des siècles ; la virginité y est une valeur cardinale de la culture traditionnelle et les frères ont le droit de battre leur sœur s’il la voit avec un amoureux ; le mari trompé peut se venger sur la famille de son épouse et celle-ci doit être battue ; quant au taux de viol par habitants, les relevés de Freeman montraient qu’il était six fois plus élevé qu’aux Etats-Unis ! Comme paradis, on fait mieux…

Femelles agressives

A la différence de sa cousine la hyène rayée, la hyène tachetée présente une étrange différenciation sexuelle : le clitoris des femelles est aussi long que le pénis des mâles. Elles se servent de cet organe pour uriner, copuler et accoucher (elles n’ont donc pas de vagin). Ce quasi-hermaphrodisme est dû à l’absence d’enzyme aromatase, substance qui convertit habituellement les hormones androgènes (mâles) en hormones œstrogènes (femelles). Le cerveau et le comportement social de ces hyènes se trouvent affectés par cette différenciation sexuelle : ainsi, les femelles, de plus grande taille que les mâles, sont hyperagressives et commencent à se battre quelques jours après la naissance.

De l’avantage d’avoir bonne mine…

On sait depuis Darwin que la variété et la brillance des couleurs constituent chez les animaux un caractère sexuel secondaire, c’est-à-dire qu’elles présentent un avantage sélectif pour le mâle qui les exhibe. L’exemple le plus connu est sans doute l’extraordinaire plumage des paons : les prétendants déploient leur roue devant les femelles, qui choisissent en général la plus belle — et surtout son porteur ! Il en va de même chez de nombreuses espèces.

Mais en quoi la couleur offre-t-elle un avantage sélectif ? Une des explications les plus couramment avancées repose sur son coût : les mâles colorés sont ceux qui, pouvant se permettre de gâcher de l’énergie pour développer ce caractère, sont les plus vigoureux. En 1982, les biologistes William Hamilton et Marlene Zuck ont formulé la théorie suivante : seuls les mâles sains ou disposant de défenses suffisantes pour résister aux maladies et aux parasites posséderaient la capacité d’exprimer des caractères sexuels secondaires comme la brillance. Il restait à trouver des preuves. Les recherches se sont orientées vers une famille de pigments naturels, les caroténoïdes. Ces pigments rouges, oranges ou jaunes (produisant du violet, du vert ou du bleu par association), peuvent être stockés dans un grand nombre de tissus. Ils sont produits à l’origine par des plantes et des algues : les animaux les intègrent soit directement, soit en consommant des insectes. 

Or, les caroténoïdes n’agissent pas seulement sur la couleur. Ian Owens et Valérie Olson ont démontré que ces pigments jouent un rôle central dans le système immunitaire (prolifération des lymphocytes T et B qui luttent contre les invasions pathogènes), dans la production de cytokine (molécules impliquées dans la réaction immunitaire) et dans le piégeage des dangereux radicaux libres. Anders Moeller, de l’Université Pierre et Marie Curie, a rapproché ces propriétés des caroténoïdes de la théorie de Hamilton et Zuk : les mâles malades ou atteint de parasites utilisent leur réserve de caroténoïdes et leurs couleurs perdent de leur brillance ; ils deviennent dès lors moins attirants pour les femelles, qui choisissent le partenaire le plus sain. C’est-à-dire le plus coloré.

Homme, chat et chromosomes sexuels

Les chromosomes sexuels de l’homme et du chat présentent de nombreuses similarités, selon une étude publiée dans la revue Genome Research. Le processus d’évolution a été particulièrement important en ce qui concerne le chromosome Y et les généticiens estiment généralement qu’il est différent même chez des mammifères très proches. Or, ont découvert les Prs William Murphy et Stephen O’Brien, l’homme et le chat ont grossièrement la même organisation des gènes dans les chromosomes X et Y.

Sexe en orbite

Comment faire l’amour dans l’espace ? Si l’on en croit le témoignage de Pierre Kohler
(La dernière mission, Calmann-Lévy), cette question a préoccupé les pudiques ingénieurs de la NASA. Des positions amoureuses, sélectionnées après simulation sur ordinateur, auraient été testées en 1996 à bord d’une navette spatiale américaine, d’après un document cité par Pierre Kohler dans un chapitre de son livre consacré à la dernière mission de la station russe Mir. Astronome de formation devenu journaliste scientifique, Pierre Kohler suit depuis longtemps particulièrement les sujets liés à l’espace. Les astronautes lui ont fait de nombreuses confidences, sauf sur un thème tabou d’outre-Atlantique à l’Oural : le sexe en orbite. Toutes les agences spatiales sont pudiques sur cette question. Aux Etats-Unis, les demandes d’entretien sur le sexe sont systématiquement rejetées et les principaux intéressés répondent par un sourire ambigu. A en croire un document référencé «NASA n° 12-571-3570», cité par Pierre Kohler, une expérience confidentielle d’accouplement sans équivoque aurait bien été menée, après simulation informatique, lors de l’un des quatre vols de navette réalisés en 1996 avec des présences féminines à bord. Sans doute en prévision de futurs séjours de longue durée, il s’agissait de déterminer les meilleures positions pour des ébats en microgravité. Sur les dix modes testés, six auraient fait appel à une ceinture et un tunnel gonflable destinés à maintenir les partenaires serrés l’un contre l’autre, alors que dans les quatre positions restantes, le couple devait s’en remettre à sa seule force musculaire.